• "Inutile de se cacher la vérité. Je ne réagis plus comme avant. Maintenant, je pleure mal."
    Un roman qui commence comme ceci augure un meilleur qui ne se dément jamais. Lire Antoine Volodine c'est prendre un bain de bulles où les bulles seraient ses mots. Des mots qui nous bercent et nous réjouissent alors que les "narrats" qui composent l'ouvrage décrivent un monde post-apocalyptique. L'humanité telle qu'on la connaît (pour combien de temps encore) n'est plus qu'un souvenir. Y errent sur la surface du globe des rescapés étranges et pluri-centenaires qu'on ne peut qu'imaginer les fruits monstrueux d'émanations toxiques ou radioactives voire de sombres opérations chamaniques. Les univers et les situations décrits sont sans espoir mais d'une générosité et inventivité stylistiques jouissives. Une critique sociale en émane de façon diversement allusive mais toujours pertinente. L'ambiance n'est jamais pesante et ne s'embarrasse pas d'émotions superflues. Cela tire un constat d'où sont exempts la rancoeur et la rage. Une vie au jour le jour menée dans une espèce de résignation indolore. Bref c'est un régal qui se consomme au compte-goutte. De la haute distillation qu'une lecture boulimique rendrait indigeste. C'est davantage le plaisir de l'instant qui importe qu'une intrigue éventuelle. Et il faut le savourer patiemment.


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  • On me l'avait conseillé à l'époque où je préparais Oedipe Roi sous prétexte que l'intrigue de Murakami s'inspirait du mythe. Je n'ai pu le vérifier qu'une fois les représentations bouclées. Sans regret car le roman de Murakami prend une telle indépendance par rapport au destin d'Oedipe que je n'y aurais pas trouvé - pour l'élaboration du rôle - un matériau révolutionnaire.
    Sa richesse se situe ailleurs. S'il est vrai que pour Kafka comme pour Oedipe, la prédiction est à l'origine de la peur et celle-ci d'un leitmotiv plus ou moins conscient mais toujours déterminant dans les options et décisions des personnages, les frontières réelles des mondes décrits par Murakami sont bien plus friables et incertaines que celles de la tragédie originelle où les dieux daignaient parfois intervenir dans le nôtre alors que le leur nous restait douloureusement hermétique. Dans l'univers de Murakami, un échange permanent s'effectue entre les mondes - ou les niveaux de conscience ou les dimensions - et ceux-ci s'influencent mutuellement, comme si tous participaient à une flamboyante organisation dont les aboutissants nous échapperaient. Mais dont la volonté - à l'inverse de la tragédie - serait beaucoup plus poétique, c'est à dire qu'elle serait lavée des passions humaines. Une clé de cette outre-humanité nous est suggérée par le personnage de Nakata, qui contrairement aux autres, est libéré du temps. Suite à un fait mystérieux intervenu dans son enfance, Nakata perd les facultés intellectuelles qui ont fondé la société où nous évoluons mais hérite en revanche d'un don de disponibilité totale au présent. Et donc d'insouciance. Et donc de paix... Ni passé ni futur n'ont prise sur lui. "Heureux les simples d'esprit, le royaume des cieux leur appartient." Sa trajectoire jubilatoire éclaire ainsi celle de ceux empêtrés dans la toile des souvenirs ou des espoirs.

    Haruki Murakami, dans une époque où tout se doit d'être résolu ou expliqué et où la plupart des films évitent tout composé qui pourrait frustrer le "client", ouvre quantité de portes qu'il ne referme jamais. Il lance multiples pistes qu'il laisse cheminer de leur propre vie, dans notre propre imaginaire. Et ce faisant, il réalise pourtant le tour de force de ne jamais nous frustrer. Il nous promène entre la féérie et la mélancolie, entre la vie et la mort. Il interroge sans poser de question et le tout flotte comme un mobile énigmatique au-dessus de nos têtes et où nous ne serions pas surpris de voir s'y balancer le lecteur que nous sommes.

     


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  • La première fois que j'ai vu Eric Masserey c'était lors d'une séance de dédicaces dans une librairie sédunoise. Je m'y étais rendu pour retrouver une amie d'école normale que j'avais perdue de vue jusque là et qui signait sa première publication. Mon amie avait signalé avec fracas sa tournée des libraires et était encerclée d'un amas enthousiaste et diffluent. Ce qui de toute évidence n'était pas le cas d'Eric Masserey qui semblait se prêter à l'exercice d'une grâce plutôt empruntée, comme un dodo en Alaska, échoué en un lieu impropre et presque hostile puisque d'une effervescence qui ne lui était pas destinée. Si bien que je n'ai compris que bien plus tard que lui aussi présentait des ouvrages. Visiblement, ce soir-là, Eric eût préféré être ailleurs.
    La deuxième fois que j'ai vu Eric Masserey c'était le lendemain même à la sortie de l'unique représentation sierroise d'Oedipe Roi. Je l'ai immédiatement reconnu, un peu gêné toutefois, car je n'avais pas osé l'approcher la veille tant sa place lui paraissait inconfortable et tant je ne voulais pas risquer une dépense supplémentaire. Nous avons échangé quelques mots et suite à l'impression renouvelée d'humilité et de mélancolie qui se dégagea du bref partage, je me suis promis de lire son livre dont j'avais déjà lu le plus grand bien chez Alain Bagnoud.

    Ce livre est une friandise. Un dessert. Mais un dessert d'occasions. Une madeleine qu'on n'extrairait de son écrin qu'après s'être ordonné l'intérieur, d'y avoir réveillé sa présence et d'avoir pris trois longues respirations.
    Comme son nom l'indique, Eric Masserey nous embarque dans le passé de sa famille et dans le sien, lointain ou rapproché. Les mots sont teintés de mélancolie et on les sent comme issus davantage d'une méditation que d'une volonté, de ces moments échappés au temps où on s'arrête pour écouter ses vagues intimes. Ainsi Eric Masserey m'apparaît comme ces ballons atmosphériques, lâchés vers ces strates inhumaines mais encore scellés à la terre avec en fantôme omniprésent cette pointe de douleur causée par la tension contradictoire. Et cette fêlure nous touche, comme écho à celle que nous portons tous. Ou par compassion et reconnaissance face à une réelle sincérité.


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  • Happé dans les nimbes à Athènes, Oedipe n'est plus.
    C'est là, face à la mer que nous retrouvons Antigone. Orpheline devant l'immensité de l'étendue aquatique, de sa vie soudain sans but. Il y a si peu de temps qu'elle était entièrement tendue vers ceux de son père.
    Et c'est là qu'elle décide son retour à Thèbes. Derrière ces hautes et riches murailles que se disputent ses deux frères. En quête d'une nouvelle action qui permettrait l'expression de son dévouement ? En fuite d'une prise en charge de sa propre indépendance ? En tout cas en caressant le naïf espoir d'empêcher la lutte fratricide de Polynice et d'Etéocle. En tout cas dans l'impossibilité de faire autrement que de tenter de détourner l'inéluctable.
    Ainsi il y a quelque chose d'essentiellement christique dans le destin saisi, interprété et magnifié par Bauchau :
    Son refus du conflit à tout prix. Et ce malgré une disposition naturelle aux arts de la guerre.
    Son indifférence au luxe et son engagement en faveur des démunis et des parias qui ira jusqu'à la réduire - à nouveau, puisqu'elle l'avait déjà fait pour son père - à la mendicité. Et ce malgré son statut royal.
    Son incapacité contextuelle à devenir mère. Et ce malgré ses amours sincères et son désir profond.
    Jusqu'à son sacrifice ultime qu'elle considère plus à même à empêcher une nouvelle effusion de sang, plus conforme à ses convictions intimes. Dans le sens de cette intimité toute féminine. Cette intimité cachée, contenue au sein même de l'organisme. Au lieu même du miracle de la gestation, de la naissance et de la vie.

    Et c'est cette vertu de vie qu'elle proclame, qu'elle hurle dans ce monde mâle de la mythologie, ce monde aux moeurs masculines, aux valeurs guerrières. Car qu'opposer d'autre que son cri à l'aveuglement caractéristique de l'orgueil et des ego des hommes ? Et que nous reste-t-il aujourd'hui à nous dans un monde où en fin de compte ce sont toujours et encore ce même fonctionnement et ces même contre-valeurs qui dominent ?


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  • Faut-il céder aux sirènes médiatiques qui partout hurlent les mérites d'un publiciste reconverti ? N'est-ce pas par les autoroutes décriées qu'il parvient sur notre table de nuit ? Et ne devrait-on pas pour valider sa dénonciation du système le bouder superbement ?
    Sans aucun doute. Mais comme personne ne m'avait lié au mât de l'indifférence je me suis échoué sur les récifs du prêt-à-porter de la littérature.
    J'avais vu "99.-fr" mais à part ses chroniques que j'aime lire dans "Lire" je n'avais rien lu du personnage. Cependant il s'est suffisamment illustré pour qu'on soit tenté de le cataloguer quelque peu. Le piège à double tranchant des figures médiatisées. On parle de nous mais notre image nous échappe. On parle de nous comme d'un étranger et pour nous reconnaître il faut correspondre à cette image. Surtout si nous dépendons de celle-ci. Et Beigbeder s'identifie-t-il suffisamment à son image pour qu'il nous faille nous aussi l'y identifier ?  A cette image de beauf moderne au costard de marque impeccablement taillé mais cool, à cette tenue nonchalante mais calculée, à cette barbe naissante négligée mais étudiée, à cet air à la fois supérieur et humble, hautain et engageant, méfiant et implorant, avide et craintif, bref... un peu perdu entre ce qu'il aimerait être, ce qu'il craint être, ce qu'il se défend d'être et ce qu'il ne sait pas qu'il est ? Peut-être. Mais point n'est ici le propos de débattre de l'opposition entre le Beigbeder privé et public. A lui de surmonter la schizophrénie dont il est peut-être aujourd'hui la victime.
    Malheureusement quand on pratique l'autofiction, on surmonte son privé en public. Et forcément il m'a été difficile d'éluder l'auteur. Cela a-t-il entaché ma lecture ? Sans doute à un niveau.
    Beigbeder s'est fait arrêter sur la voie publique à cause d'un acte qu'il aurait dû commettre en privé. A savoir se sniffer une ligne de coke sur le capot d'une bagnole de luxe. - Mais sans doute que la bagnole était trop difficile à rentrer dans son salon. - Comme c'est un personnage public, on a voulu en faire un exemple et on l'a gardé plus que de raison. Beigbeder part de ce fait pour revisiter son enfance dont il veut s'expliquer l'absence de souvenir. C'est l'aspect le plus splendide du roman. Les énumérations de marques à la Oskar Wilde quand il se perd dans ses gemmes (Dorian Gray) m'ont un peu excédé, sinon je l'ai trouvé sensible, honnête et très juste. De plus j'ai apprécié ce voyage dans ma propre adolescence.
    Quant au prétexte - le compte rendu de sa préventive - j'ai eu ma foi un peu de peine et n'ai pu éviter le parallèle avec une Paris Hilton en larmes suite à son incarcération pour avoir fait pipi dans un caniveau. Il voudrait trancher à la zorro, mais il faudrait qu'il évolue masqué parce que là, il parvient juste à frapper dans le vide. Et si maladroitement que ça ne m'étonnerait pas que sa lame finisse sa course dans un quelconque endroit de sa propre chair.


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