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Par libou1 le 6 Avril 2010 à 14:36
Voici qui n'est pas réjouissant : si nous souffrons c'est de notre faute.
Si nous sommes dans un pays en guerre c'est de notre faute ? Si un chauffard nous handicape à vie c'est de notre faute ? Si nous voulons le bonheur et sommes bouffés par l'angoisse c'est de notre faute ? Si nous crevons de faim c'est toujours de notre faute ? Si on nous viole à six ans c'est encore de notre faute ?
Eh bien quelque part oui. En étant partie du fatras humanitaire oui. Si ce tas de gens procédait d'un esprit pur la plupart des maux disparaîtraient. Guerre - faim - chauffard - viol, dans la conscience du tous en un filerait à la trappe. Malheureusement il faut combiner avec l'esprit grippé de l'espèce. Et pourquoi donc cette espèce agit ainsi ? Parce qu'elle souffre. Et pourquoi souffre-t-elle ? A cause du dernier point qui intervient - souvenez-vous - dans le fonctionnement de l'esprit. A savoir la notion de préférence ; l'attirance ou l'aversion, le désir de prolonger une sensation agréable ou celui d'éviter à tout prix une sensation blessante.
Comme c'est affligeant non ? On blesse pour refouler, éviter la blessure, on tue pour éviter la blessure, on viole pour éviter la blessure. Actes qui provoqueront des actes. Nous ne sommes pas les enfants de la liberté. Nous sommes fils et filles de la souffrance.
Ce qui cette fois-ci me fait penser à Platon. Selon lui la liberté n'est pas de faire ce qui nous plaît mais au contraire d'être capable de ne pas le faire. Comme si la préférence était déjà l'indice de l'égarement. Et en effet pour le Bouddha un esprit pur ne préfère plus.
Alors comment échapper à cette souffrance qui réduit voire annule toute notre autonomie ? D'abord il faut accepter cette réalité. Cette réalité de l'existence. Avec cela il faut comprendre le phénomène d'apparition de la souffrance pour être capable de l'observer et d'en déceler le mécanisme. Puis en tirer les conclusions.
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Par libou1 le 5 Avril 2010 à 12:30
Celui du troisième jour n'est d'ailleurs pas très rassurant. Il nous place face à notre responsabilité d'être humain. Selon le Bouddha nos propres actes sont les causes de tout ce que nous vivons : "Tous les êtres possèdent leurs propres actes, héritent de leurs actes, ont pour origine leurs actes, sont liés à leurs actes, leurs actes sont leur refuge. A la mesure de leurs actes nobles ou vils, ainsi sera leur vie." Ainsi nous sommes ce que nous faisons. Notre vie est le résultat de ce que nous avons fait. Et en allant plus loin on peut dire que ce que nous faisons est la cause de ce que nous avons fait, que nos actes déterminent nos actes ; pour ne pas dire que dans leur aspect rébarbatif et douloureux nos actes sont les victimes de nos actes.
Je me permets ici une digression puisque cet extrait du Bouddha me fait penser à une des trois définitions qu'Aristote avait donnée de Dieu : Acte pur. (Les deux autres étaient Moteur immobile et Pensée de la pensée.) Bien sûr, lui ne l'entendait pas dans la même acception puisque pour lui l'acte était perfection ; dans le sens où il était aboutissement. D'abord il y a la promesse d'une chose qui devient cette chose dans l'acte. L'acte finit cette chose, la boucle. Donc Dieu n'est jamais une promesse, il est la boucle, il n'est que l'acte. L'acte pur. Le problème de l'être humain c'est qu'il n'est pas UN mais pluriel et en cela je trouve le rapprochement amusant. Dieu est Acte pur, l'humain est actes purs. Il est soumis à la loi de cause à effet, un acte amenant avec lui son lot de conséquences comme les pièces d'un jeu de dominos.
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Par libou1 le 29 Mars 2010 à 21:58
Chaque jour durant la pause de midi, la possibilité nous est offerte de rencontrer l'enseignant en particulier. Il suffit pour cela de s'inscrire sur un tableau accroché au mur du réfectoire. Les premiers jours je me suis demandé si je voulais le faire. Mais je n'avais aucune idée de ce que j'aurais bien pu lui demander. Tromper la routine ? Je savais que mes possibles questions trouveraient leur réponse à la conférence du soir. De plus l'enseignant parlait exclusivement anglais et le mien, uniquement scolaire, me permet tout juste de draguer un peu en vacances.
Une chose qui m'agaçait et qui m'a toujours agacée en toutes circonstances c'est l'absurde menace de maux à venir. Là, c'était la pression qui transpirait à chaque conférence sur le fait de ne pas quitter le cours avant le terme des dix jours. La condition est d'ailleurs stipulée sur le formulaire d'inscription. Je veux bien admettre que pour un déroulement optimal du processus il soit préférable de vivre la démarche dans son intégralité mais pour moi cela restait de l'ordre de la préférence. Or de bien des discours émanaient des effluves de culpabilité du genre : il serait très préjudiciable voire dangereux pour tout apprenti méditant de raccourcir son séjour, de ne pas dépasser les premières difficultés, etc. Sans qu'aucun argument ne soit amené à ces sentences. Mon sang ne faisait qu'un tour et le procédé tout en me révoltant me rejetait dans les confessionnaux de mon enfance où le péché était toujours plus obsédant que son pardon.
De fait il était des apprenants dont la pratique paraissait provoquer de lourdes angoisses. A chaque fois leur nom figura sur le panneau des rendez-vous. (Ce qui peut-être aussi contribua à me dissuader de déposer le mien.) Il y en a un qui s'en alla le matin du quatrième jour. Les trois premiers jours semblaient déjà une torture. On le sentait complètement insécurisé, en proie à des fantômes personnels, égaré comme un enfant qui aurait perdu sa maman. Et au fil des jours, outre sa pâleur qui augmentait, son regard qui quémandait des points d'accroche, il paraissait régresser, ressemblait toujours davantage à un gosse vulnérable qu'à cet adulte déterminé qu'il présentait à son arrivée. Il est parti en tempête, valise à peine close et les yeux sur la pierre du sol. Cela m'avait attristé. J'imaginais bien que son niveau d'estime de soi flirtait avec le zéro. Il n'était sûrement pas venu pour partir après trois jours. Et à cet inévitable sentiment d'échec s'ajoutait encore la culpabilité, si ce n'est la peur, persiflée au détour des discours.
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Par libou1 le 16 Mars 2010 à 13:52
Ma dernière nuit fut aussi courte que les précédentes. J'en déduis aux ronflements de mes co-chambristes que la confiance gagne et je m'en veux de n'avoir pas pensé à des tampons auriculaires. Déjà que je commence à appréhender mes nuits comme il fut un temps les épreuves de mathématiques. Hormis le fait que je ne m'endors que peu avant le réveil, je prends un peu le rythme des journées. C'est pas bien compliqué ; méditer, manger, méditer, manger, doucher, méditer, grignoter, méditer, écouter, méditer, essayer de dormir. Et ce sera ainsi jusqu'à la fin.
Pour le troisième jour la consigne demeure la même avec une zone d'attention encore rétrécie. Juste la partie de lèvre sous le nez. Observer mentalement ce cm2 de peau pendant onze heures. Après deux jours, l'agitation est tout de même moindre. Les pensées intruses continuent de se manifester mais plus paisiblement. Il est toujours aussi difficile de rester concentré longtemps mais les eaux intérieures s'apaisent et déposent un peu de leur tourbe. Tout est mis en oeuvre pour que dans ce comportement de mouton on touche à notre individualité ; pour peut-être, en fin de compte, un jour la transcender. Mais ça c'est en devers soi. Pour l'instant il y a ce point sous le nez.
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Par libou1 le 10 Février 2010 à 14:32
Ainsi il apparaît que contrairement aux apparences rien n'est figé ; rien n'est immuable. L'identité elle-même n'existe pas. Le "je" n'existe pas. Ce qui existe est voué à la disparition et ce qui renaît n'est pas ce qui a disparu. Même si la ressemblance est irréprochable, ce n'est pas ce qui était. C'est ce qui découle de ce qui était, c'est sa continuité. Et déjà ce n'est plus qu'un souvenir, qui lui-même n'est plus qu'un souvenir. Un souvenir, du souvenir, du souvenir, du souvenir... d'un déjà passé, dans un vertige hallucinant, infini et multidimensionnel. Tout est changement. L'apparence est une illusion, l'immobilité une impossibilité. Ces doigts qui courent sur ces touches ne sont déjà plus les mêmes doigts et déjà ces touches ne sont plus les mêmes touches. Cette personne de qui je suis tombé amoureux n'est déjà plus la même personne. Je ne suis déjà plus amoureux de la même manière. Je ne suis déjà plus le même. Ce sentiment éprouvé et qu'on voudrait éternel a déjà fui au loin. Cette sensation reconnue infailliblement comme agréable est déjà perdue. Et voilà que pour récupérer ce qui nous a échappé avant même que nous l'ayons appréhendé, pour combler ce trou qui bée de plus en plus, pour retenir cette barque que le courant emmène ; nous créons des images idéales censées maintenir le mythe des premiers instants. Qui lui aussi changera, changera constamment, se réajustera constamment pour maintenir le leurre d'une réalité qui nous déplaît. Puisqu'elle n'existe pas. Sinon dans une évolution.
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