• C'est avec enthousiasme que je me suis lancé dans la lecture du deuxième roman de Ramuz. L'issue en est moins tragique que pour Aline puisqu'à la clôture de l'intrigue le protagoniste principal reste en vie. Cependant c'est un drame qui tisse son dénouement avec la même implacabilité et selon cette recette qui consiste à glisser les allusions sournoises au drame qui se consume bien des pages avant qu'il devienne effectif.
    Si bien que j'ai parfois cédé à la tentation d'embrasser en quelques mots les splendides descriptions dont use Ramuz pour enrichir les événements d'une ambiance. Non que je les trouve superflues mais simplement parce que, le roman étant plus long, il me tardait d'arriver au coeur de l'action. J'y revenais parfois ensuite pour en goûter la portée poétique et universelle.
    Car en plus d'entretenir le supense et mettre à mal la patience du lecteur, elles ont la capacité incroyable d'ouvrir, par d'innocentes formules, des rideaux sur l'opacité du monde.
    L'écriture ramuzienne possède en outre l'illusion de la simplicité en cela que les choses s'écoulent avec la logique inoffensive d'un canal du Midi... elles atteignent pourtant leur but avec la même fatidique assurance.
    Ainsi comme son titre l'indique, les circonstances de la vie sont imprégnées d'un déterminisme certain. Elles sont les conséquences de caractères qui eux par contre souffrent difficilement de changement ; et malgré les souhaits de ceux qui les possèdent.
    Mais n'est-ce pas là tout le drame de l'humanité ?


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  • Je ne m'attendais pas à ça. Je ne m'attendais à rien de surprenant d'ailleurs. Sans jamais avoir été tenté de le lire, j'avais classé Giono dans les écrivains populaires. Et peut-être l'est-il. Mais alors avec classe. Tout ce livre est poésie. Tant dans la forme que dans son cadre. C'est un livre frontière. On passe dans un univers qui paraît réel ou envisageable comme tel à des espaces improbables, comme nappés de vapeurs à la fois étranges et sensuelles. Il s'en dégage une atmosphère tant romantique que libidineuse mais d'un sanguin davantage sous-jacent que directement exprimé. Les personnages sont corps et force brute. Ils sont vie et Giono les lance dans son histoire et regarde comment ces muscles réagissent, la part qui échappe à leur raison, celle qui suit leur vérité peut-être essentielle, en dépit des conséquences qui pourtant sont rarement la facilité, mais qu'on assume comme une fatalité nécessaire.
    J'y ai aussi pu lire l'opposition entre l'inné et l'acquis même si l'acquis n'est pas celui induit par l'homme mais celui que les éléments naturels ont modelé chez le héros principal, en l'occurrence pour lui : le fleuve et l'eau. Alors que le Rouquin représenterait le feu par excellence, mais celui qui brûle dans ses veines depuis sa naissance. La nature n'a pas encore pu y imprimer sa tempérance.
    Le titre, s'il demeure énigmatique quant aux faits me semble confronter dans le déroulement du roman ceux qui entendent le chant du monde et ceux qui tentent de lui imposer leur mélodie.


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    J'ignore si la trame est inspirée d'une réalité historique ou si elle trouve son origine dans le fantasme mythologique du matriarcat premier, celui du paganisme sauvage et humide de nos forêts continentales sombres et touffues. Quoi qu'il en soit, l'action semble se situer dans les abords du Danube à l'époque où le Dieu unique se substitua de toute sa farouche exclusivité à la luxuriance des animismes en vigueur. Révoltées par cette intolérance incarnée dans la mâle attitude, les femmes érigent une cité où elles s'isolent en gardiennes de la diversité. Bien entendu ça va chauffer car les hommes ne l'entendent pas de cette oreille.

    Le livre oppose ainsi la richesse des différences à la pauvreté des fanatismes, ce qui bien entendu est fort louable. Seulement il y a la manière. Et quand elle devient maniérisme en décrivant une réalité de fer et de sang, pour moi il y a un souci. Le style est bigarré mais propret et toutes les scènes me paraissent convenues et empruntées sans originalité à un imaginaire médiéval surrané. Ce qui fait qu'outre un style magnifique mais inopportun, cette lecture m'a englué dans le miel de ses alambiquées formulations. Finalement le tout est si kitsch qu'il en devient mélodramatique.

    Pourtant j'avais bien aimé l'"Eloge du mariage, de la fidélité et autres folies" où l'auteure avait prêté ce même style à un essai de société. J'avais trouvé que ça lui conférait une dimension intéressante, que ça lui ajoutait une beauté utile et contribuait au plaisir de lire.

    (Ceci aussi pour ne pas conclure sur une note si négative ; je n'aime pas ne pas aimer un livre, ce qui d'ailleurs n'implique que moi car si je l'ai lu c'est parce que quelqu'un me l'avait chaudement recommandé : "un pur bijou". Comme quoi...)


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    Erynies lâchées aux trousses d'Electre et Oreste après que celui-ci ait réglé la justice au talion à coups de poignard bien sentis dans le giron de leur môman.

    Démons intérieurs et indomptables exacerbés par le cadre d'une époque déroutée dans la démesure des possibles offerts par les ombres de l'âme humaine.
    Ceux de Maximilien Aue, intellectuel galonné SS qui a marqué de ses semelles les hauts lieux du front de l'Est pour terminer de les user à Berlin où se concluent la guerre et le roman. Car il s'agit bien d'un roman, d'une fiction partiale et, quoique très bien documentée, nullement historique ni exhaustive. Je le souligne car en lisant un bout de tout ce qui s'écrit au sujet de ce travail de ci de là des pages web, je trouve qu'il fait l'objet de critiques bien injustifiées.
    Evidemment sa vision est partielle. Evidemment il ne propose pas d'analyse politique discursive. Evidemment il n'éprouve point de remords, celui-ci est expulsé dans la personnification des Bienveillantes. Evidemment il n'apporte pas de réponse. C'est le récit autobiographique d'un personnage imaginaire.
    Et quelle virtuosité ! Quels trilles époustouflants ! Quels prodigieux moments de pure inspiration exprimée avec justesse et profondeur.
    Pourtant je ne trouve pas qu'il s'agit là d'un écrivain de mots, d'un styliste. Et peut-être n'écrira-t-il plus. Peut-être a-t-il tout dit. Peut-être une oeuvre exprime-t-elle l'Oeuvre. Et grand bien lui fasse car pour moi Elle se suffit à elle-même. 
    Pourtant j'ai laissé ce livre à plusieurs reprises et une fois pour plusieurs mois, écoeuré et épuisé aux environs de la millième page de l'édition de poche. Mais la puissante impression qu'il me laisse ne m'autorise qu'un détail de vraisemblance romanesque. Pour le reste, ce texte ébranle et questionne, nourrit et révolte, lasse et exalte, dégoûte et émerveille. Que demander de plus ?

    La question de la mémoire m'a taraudé tout au long du récit. Les détails sont si nets, les noms retrouvés dans leur grande majorité, les faits reportés dans une chronologie et une précision d'horloger. Comme le héros nous le dit, il a reconstitué le puzzle de ce passé à l'aide des documents historiques, mais tout de même, la mémoire est si volatile, si trouble, si lacunaire et traîtresse : le rêve s'introduit dans la réalité et avec les années on ne sait plus très bien où se situe la limite. On ne sait plus de quels moments et quels lieux certains faits, même marquants, doivent être rapprochés. Je serais bien en peine de me souvenir de tous les moments où j'ai vomi, même le plus récent et je vomis moins souvent que le héros. Maximilien Aue se souvient pratiquement de tout. Et il aborde ses mémoires cinquante ans après les faits.

    Ces descriptions si précises destinées à toujours davantage concerner, impliquer le lecteur ont eu sur moi l'effet inverse. Leur trop grande clarté rendait invraisemblables les événements.  


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  • Océan mer, Châteaux de la colère, Soie, Sans sang, Novecento pianiste, City. Je ne crois pas en avoir oubliés (il y en a d'autres bien sûr mais je ne les ai pas lus). Rencontres étalées avec cet auteur croisé pour la première fois il y a dix ans sur scène. Pas de chair à chair évidemment mais de mots à coeur. Car Alessandro est avant tout un auteur de coeur, un auteur méditatif qui commet l'antynomie de vouloir émouvoir. Et il y parvient bien souvent, par ses constructions simples et justes, par l'originalité de ses réflexions, par les paysages qu'il installe.

    J'ai pu lire en parcourant les critiques qui parsèment la toile qu'Alessandro était à bout de souffle ; répétant inlassablement les procédés qui l'ont fait connaître, qui ont créé son succès. Ca m'a fait rire. Reproche inconsistant des improductifs. S'il fallait lui en tenir rigueur, on devrait cacheter la créativité d'un Manu Chao. Van Gogh en maturité n'aurait fait qu'un tableau. Ce qui érige la force d'un artiste est bien sa touche personnelle. Miles Davis identifié à la première note, Prévert au premier vers, Mirò au premier coup d'oeil. Même quand Keith Jarret lutte pour renouveler son système d'improvisation, il n'en demeure pas moins Keith Jarret essayant juste d'élargir les marges de son inventivité, d'en repouser les limites.

    Comme je le disais, pour moi Baricco est un écrivain méditatif, se mettant à sa table de travail comme un bureaucrate dans son jardin, comme un athée en prière. A la recherche d'un bien-être intérieur constamment renouvelé. Comme un enfant curieux en quête d'émerveillement.

    N'en déplaise aux refroidis du système.


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