• Ce n'est pas la première version que j'ai lue. Pas celle qui a été retouchée pour sa publication en 1905. C'est la définitive, celle de ses oeuvres complètes, corrigée à l'occasion de chaque nouvelle réédition.

    Cependant il restait en appendice la fin qu'il n'a pas gardée.

    J'ai trouvé fascinant de pouvoir opposer les deux styles d'écriture. Celui plus hésitant, pas encore affirmé, toujours en recherche, de ses premières années et celui limpide et libéré de l'âge mûr. Celui du premier jet soucieux de vraisemblance et celui épuré de la maturité. Car il s'agit bien d'épuration, du passage d'une première ébauche attentive aux impératifs de la logique à une peinture expressionniste qui trace davantage le contour des âmes que des objets. Ou, comment glisser du quotidien à l'universel, du particulier au cosmique...

    Car Ramuz s'efface derrière le récit, il en devient simple résonateur, il en devient le serviteur. Suivant la lente poussée de l'inéluctable qui se décline avec la sobriété de ses métaphores presque enfantines mais d'une force expressive hallucinante. Il est l'humble spectateur de son récit, se contentant de le transcrire avec force et élégance. On constate juste son impuissante compassion devant la tragédie de l'héroïne. On sent juste son amour et sa tendresse devant cette Aline qui ne pourra pas plus éviter le pire que la terre modifier sa course céleste. Et on tombe avec elle, retenant avec d'autant plus de peine écoeurement et jugement que Ramuz les a bânis de son roman, nous laissant juste les supputer à travers les événements.

    Et pourtant ça avait bien commencé. Comme une histoire d'amour... 

     


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  • Je voulais juste comprendre cette oppression, ce malaise qui au fil des lignes s'étendait comme une marée noire. Je voulais me souvenir de ces indices qui ne m'avaient point menti, qui me désignaient l'inévitable engrenage duquel je ne pourrai me libérer.

    On ne se libère pas de l'écriture.

    Alors mes doigts ont effleuré le couperet avec la prudence de ceux qui n'ignorent pas la brûlure, ils ont humé les paragraphes, caressé la texture. Le plongeon fatal était en cours ; les mots défilaient.

    D'abord il y avait Mouchette, une héroïne hors du commun des héros et qui rythmait ses pas du glas de ses galoches flottantes. Hors du commun puisque contrairement aux personnages habituels, elle n'avait pas conscience de son malheur, de sa marginalité. Elle subissait sans défense la misère qui était la sienne, incapable de mépriser les dédains qui grisaillaient son quotidien. Révoltée contre une madame, un village, des gens, des coutumes sans la moindre volonté de réforme, comme si tout appartenait à quelque chose d'inéluctable. Un petit être pour qui les gestes provocateurs ne sont que la manifestation de sa fierté, la richesse de sa misère. Une infinie contraction vers l'intérieur pour se protéger de l'environnement mais sans capacité réflexive, sans jamais tenter d'entrer en elle, de s'examiner, si bien qu'incapable de formuler des pensées susceptibles d'éclaircir son malheur.

    Il ne me restait qu'une personne inatteignable qui me craignait comme elle craignait les autres ; dont la vulnérabilité me laissait sans voix, sans moyens.

    Et puis il y avait l'homme : Arsène. Il traînait cette odeur de sperme comme Mouchette ses galoches. Mes premières douleurs face au viol annoncé qu'on attend en espérant qu'il ne viendra jamais. Mais il est venu. Alors que tout parlait en sa faveur : le timbre inhabituel de la voix du braconnier, cette fêlure aussi imperceptible que certaine. Puis ce malaise, ce vide, cette nausée qui absorbaient Mouchette vers ce péril prochain et inconnu. Tout hurlait ! Et tout restait sourd, laissant cette lourdeur que s'il y eût davantage de bruit, rien n'en aurait été modifié, comme si les courbes d'une vie restaient attachées aux nombres qui les régissent. L'inévitable ne peut être évité. On n'échappe pas à la monotonie de l'horreur. On n'évite pas la sangle d'un père frustré. On s'habitue.

    Et puis il y avait cet amour, celui qu'on voyait naître comme une frêle luciole dans un infini de nuit et qu'on repoussait de toute notre impuissance, sentant l'inévitable cassure. Pourtant il l'aurait sauvée, transcendée vers ce qui ne porte pas de nom. Les fossés auraient été franchis, comblés par le chant de sa misérable jeunesse soudain épanouie, celui que ses viscères séquestraient dans la haine.

    Et moi je restais là. J'imaginais sa main saisir celle de l'autre, la presser naïvement avec la ferveur dont son coeur était plein, pressentant l'erreur ou sombra sa jeunesse qui attendait de naître au jour. C'était une bête nocturne et familière, peut-être la plus proche possible de Mouchette. Et pourtant, tout animal qu'il était, il n'a jamais flairé quoi que ce soit émanant de la petite. Cruelle disparité des sentiments ; égoïsme dévastateur ; fusion impossible ; solitude inévitable ; incompréhension flagrante. Tout ceci me giflait une fois de plus.

    Ensuite il y avait les autres, tous les autres. Sa haine, la mère, le vieux, les vieilles, la justice, l'impudique, la sangsue. D'abord la haine, cette haine contre elle-même, contre son corps qu'elle ne pouvait plus même toucher, cette haine terrible qui assassina son orgueil qui jusqu'alors l'empêchait de souffrir, car elle souffre incommensurablement, d'une douleur constante. Si la fierté avait toujours su retenir ses sanglots, l'amour ne le peut plus, alors elle pleure, elle pleure même en dormant.

    La fuite a commencé. Elle doit d'abord échapper à elle-même puis à tous ceux qui la conduiront vers l'impasse : la mère bouffée par la misère, le vieux rongé par l'alcool, les vieilles à l'imagination atrophiée, la justice qui ne pense pas et la concubine qui pense mal. Le vampire enfin, qui pue la décomposition et qui putréfie tout ce qui l'entoure. Cette charognarde jaunie par ses contemplations d'outre-tombe et ses pensées dégoulinantes. Celle qui jouit de la laideur, qui crée le vide qu'elle ne comble que d'incertitude, de malaise et de mort.

    Le dégoût est à son comble. Tout ce qui devait arriver arriva, les derniers espoirs ont été déçus. Rien ne troubla mon intuition.

    Enfin, il y avait le destin, imposé telle une fatalité, dont l'ombre n'effraie pas, attire même. Cette cruauté inflexible qui s'acharne comme Philomène sur ses proies. Cette misère qui n'est qu'une infinité de misères, le déroulement de hasards malheureux. Cet imposant fatum auquel Mouchette était déjà soumise au même titre que sa mère : "Grogne ou grogne pas ; obéis quand même ou je cogne, c'est le destin !"

    C'est ça qui fut si douloureux, ça qui me fit si mal. Ce parjure à une vie à laquelle on s'efforce de s'accrocher mais en vain puisque... c'est écrit... !!!

    Bernanos a su faire monter la tension du lecteur que je fus en m'enfermant dans mon propre dessein, dans une intrigue sans surprise et à laquelle je m'abandonne quand même. Faute de faire autrement.


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  • C'était mon premier Paul Auster. De la faute du libraire qui, passant derrière moi tandis que j'en tâtais la couverture, lâcha en substance "C'est vraiment très bien, je ne saurais que vous le conseiller..." Et bien sûr j'ai été pris de pitié. Si le pauvre ne saurait rien faire d'autre, autant lui laisser croire que cette unique chose il la faisait bien. Et j'ai acheté cette anthologie composée par Paul Auster.

    Que du coup je ne connais pas puisque c'est une anthologie tout écrite par d'autres.

    Un concept.

    Paul Auster a vendu un concept.

    Je me demande comment ils se partagent les droits d'auteur, mais ça doit plus être de la tarte, du coulis éventuellement mais plus de la tarte.

    Sur les quatre mille textes qu'il a reçus, il en a sélectionné les cent septante deux qui forment l'ouvrage.

    Mais je crois que le plus simple est de laisser la parole à son quatrième de couverture :

    "J'ai expliqué aux auditeurs que je cherchais des histoires. Celles-ci devraient être vraies, elles devraient être brèves, mais il n'y aurait aucune restriction quant aux sujets ni au style. Ce qui m'intéressait le plus c'étaient des histoires non conformes à ce que nous attendons de l'existence, des anecdotes révélatrices des forces mystérieuses et ignorées qui agissent dans nos vies, dans nos histoires de famille, dans nos esprits et nos corps, dans nos âmes. En d'autres termes, des histoires vraies aux allures de fiction...."

    Et c'est vrai que, gloire au libraire !, je me suis régalé de ces histoires. Dont certaines sont demeurées longtemps en filigrane de mon quotidien.

     


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  •  

    "Tiens ça devrait te plaire !"

    C'est avec ces mots que j'ai découvert ce titre de Philippe Squarzoni, une espèce de réflexion illustrée inclassable de notre société et de son fonctionnement. Une tentative de démantèlement des idées reçues et admises comme uniques et inéluctables.

    Ce n'est pas une histoire. Ce n'est pas une critique sociale même si elle s'y trouve inévitablement. C'est une réflexion, subjective il est vrai mais qui ne prétend pas au contraire. C'est Philippe Squarzoni qui chemine avec ses interrogations, ses contradictions et qui tente d'en ébaucher des réponses.

    Bien sûr son discours est engagé. Complètement alter mondialiste. Ce qui ne l'empêche pas d'être authentique et sincère. Mais son travail a surtout le mérite de nous réveiller de notre facile somnolence de bourgeois occidentaux. Il est si simple de se laisser glisser vers le matérialisme de l'image dont nous sommes inondés, l'individualisme exacerbé et la conscience gangrenée. Avec en point de mire le soi pour soi... la réussite !

    Car si Philippe attaque (il est membre d'Attac) avec raison les pouvoirs financiers mondiaux et l'inégal partage (pillage) des richesses, pour moi il ne fait aucun doute que le véritable problème se situe bien davantage dans l'égoïsme qui caractérise toutes ces déviances. Il n'y a pas de victimes et de bourreaux. Et je suis convaincu qu'à rôles inversés les victimes n'en seraient pas moins bourreaux. Il y a juste un péché originel qui se leurre d'une idée de séparation, d'élection, de particularité dominante. L'Homme voudrait exister pour les autres, sans les autres. Etre aimé, sans aimer, sans même et peut-être à cause de cela être capable de s'aimer lui-même.

    Mais je bavarde. Je voulais dans ce post surtout faire l'éloge de cette bande dessinée politique. Jusqu'à présent je n'avais jamais rien lu de pareil et je considère que c'est un ouvrage qui mérite absolument qu'on s'y intéresse. Je pense bien qu'il ne convertira personne dont les idées se situeraient à l'opposé. La droite et la gauche sont finalement une disposition mentale. On est psychotique ou névrosé.

    C'est comme ça et ça n'illustre que davantage un même péché originel qui trouve deux expressions différentes.


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  • Rassurez-vous braves gens. Si je vais parfois parler de mes lectures je ne vais en aucun cas me risquer à en émettre des critiques. Pour les simples et bonnes raisons que je n'en suis pas capable et qu'il y a des sites qui maîtrisent cet art à la perfection. Non. Je vais comme à mon habitude me laisser voguer au gré des inspirations soufflées par le thème du jour qui se trouve être aujourd'hui la Tour Sombre de Stephen King.

    Je ne sais comment commencer tant cette lecture a été entreprise il y a longtemps et à cause de ses implications dans mon vécu professionnel. Si bien que les deux ont été liés. La troupe dans laquelle je travaillais alors portait le nom de Ka-Têt selon le terme inventé par King et tiré du roman. Et c'était pour tenter d'approcher l'esprit, voire l'idéal, qui anima les fondateurs de la troupe que je me lançai dans cette lecture. Car ce n'est pas le genre que j'avais tendance à privilégier bien que j'avais frémi avec Christine dans mon adolescence.

    Si je rencontrais des difficultés relationnelles dans le cadre professionnel j'allais raffermir ma volonté dans la suite des aventures du Ka-Têt fictionnel mais inversement, un ras le bol trop marqué pouvait tout aussi bien m'éloigner des romans pendant plusieurs semaines. En tout cas cette expérience m'a appris les dangers d'un idéal comme ciment humain. Un idéal est exigeant et il faut en être à la hauteur... Ce qui est sans doute plus évident pour une figure fantastique...

    Cette épopée se compose de sept gros volumes et c'est tout un univers que Stephen King a imaginé là, à l'instar de Tolkien. Dont on peut d'ailleurs tirer quelques parallèles.

    Je me souviens avoir peiné à entrer dans le premier de la série tant sa suite restait indécise. On sentait bien ses tâtonnements. Par contre le deuxième volume m'a embarqué comme rarement. C'est d'ailleurs celui qui, chez moi, a résonné avec le plus de force. Evidemment, dans un travail aussi imposant, il ne peut s'y trouver que les manifestations d'un génie exceptionnel. Certains passages m'ont paru superflus ou tout du moins moins réussis, moins aboutis. Tout comme certains autres furent un pur régal. Quoi qu'il en soit, l'ensemble mérite vraiment qu'on s'y intéresse. C'est un magnifique voyage. Et un travail considérable.

    Il fut aussi très intéressant de remarquer l'évolution de l'écriture de King car cette épopée a été conduite à son terme en une trentaine d'années. Il m'a semblé pouvoir y appréhender l'évolution de son auteur. Comment on passe du feu à la braise, de la fougue à la maturité, de l'insolence à la force. Car je crois bien que King est aujourd'hui, dans son oeuvre comme dans sa vie, un roc, un pic... une péninsule.


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