• "Inutile de se cacher la vérité. Je ne réagis plus comme avant. Maintenant, je pleure mal."
    Un roman qui commence comme ceci augure un meilleur qui ne se dément jamais. Lire Antoine Volodine c'est prendre un bain de bulles où les bulles seraient ses mots. Des mots qui nous bercent et nous réjouissent alors que les "narrats" qui composent l'ouvrage décrivent un monde post-apocalyptique. L'humanité telle qu'on la connaît (pour combien de temps encore) n'est plus qu'un souvenir. Y errent sur la surface du globe des rescapés étranges et pluri-centenaires qu'on ne peut qu'imaginer les fruits monstrueux d'émanations toxiques ou radioactives voire de sombres opérations chamaniques. Les univers et les situations décrits sont sans espoir mais d'une générosité et inventivité stylistiques jouissives. Une critique sociale en émane de façon diversement allusive mais toujours pertinente. L'ambiance n'est jamais pesante et ne s'embarrasse pas d'émotions superflues. Cela tire un constat d'où sont exempts la rancoeur et la rage. Une vie au jour le jour menée dans une espèce de résignation indolore. Bref c'est un régal qui se consomme au compte-goutte. De la haute distillation qu'une lecture boulimique rendrait indigeste. C'est davantage le plaisir de l'instant qui importe qu'une intrigue éventuelle. Et il faut le savourer patiemment.


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  • Il est dix heures, nous voilà au CIAJ (Centre d'Initiation Artistique pour la Jeunesse), le lieu de la compagnie des Intrigants depuis 1994, quasiment l'unique troupe indépendante à posséder un théâtre dans toute la RDC. Sur la concession, ils ont bâti le théâtre : "Salle Katanga", des bureaux, quelques locaux, cuisine, sanitaire et une chambre d'accueil. Le théâtre est assez grand avec une scène en bois de 11m d'ouverture. Le sol est en terre, nos amis attendent d'avoir un jour les fonds pour cimenter. En haut des murs, il y a quelques couvertures pour aérer et diffuser un peu de lumière du jour. Le toit du théâtre a été offert par l'ambassadeur suisse à la suite d'une représentation interrompue par la pluie à laquelle il assistait. Trois projecteurs pendent au plafond. Au fond de la salle, trois cent chaises de jardin en plastique noir et blanc sont empilées, ce qui permet aux Intrigants d'asseoir trois cent spectateurs mais aussi de louer ces chaises dans le quartier pour des baptêmes, fêtes ou autres événements. Au fond également, un mini-bus en panne depuis des lustres attend d'être réparé quand il y aura de l'argent. Une grande table en bois un peu de traviole.

    Il est donc dix heures pour le premier jour et première surprise : les congolais sont très ponctuels ! Certains doivent traverser une grande partie de la ville. Nous passerons la matinée à nous présenter et nous raconter. Le noyau dur des Intrigants est constitué de :
    - Edgar Kulumbi Nsin Mbwelia di "Edo", comédien, auteur, metteur en scène et actuel directeur artistique et co fondateur en 1982 de la troupe avec Katanga Mupey décédé en 2001 et Valentin Samaïs Mitendo Mwadi Yinda, l'"honorable", député à l'assemblée nationale. Edo est professeur d'interprétation à l'INA (Institut National des Arts).
    - Bonaventure M'Fele Kabamba dit "Coco", comédien aux Intrigants depuis 1983 et administrateur de la troupe et des Joucotej (Journées Congolaises de Théâtre pour et par l'Enfance et la Jeunesse), également prof à l'INA.
    - Bavon Diana Lamba, comédien et régisseur général mais également directeur technique du théâtre du Zoo, metteur en scène pour d'autres compagnies et prof à l'INA.
    - Célestin Nkiakiese Matuala Sede, comédien et chargé des relations publiques.

    Le noyau des Intrigants s'élargit avec :
    -Myriam Justin Schaumba (c'est un homme), comédien, premier metteur en scène sorti de l'INA en 1983, a créé le ballet national et a fait un travail de revalorisation de la culture du pays, a créé le théâtre de la Liberté et encadre les Joucotej dans les écoles.
    - Eugide Elbas Manuana Ndosi, comédien aux Intrigants depuis 2002 après avoir bossé auprès d'autres troupes, prof d'impro à l'INA, scénariste et directeur artistique à la télé.
    - Fify Kabaly Mukar, comédienne aux Intrigants depuis 2003.
    - Blaise (c'est une femme) Nzokueno Ineza, comédienne aux Intrigants depuis 2003.

    Parmi les autres participants à l'atelier :
    - Nadine Kimbolo Kindembo, comédienne au théâtre Palmier et dans des spectacles de sensibilisation
    - Jocelyne ? sortie de l'INA cette année.
    - Clément Batsimba, comédien et directeur artistique de Zolana Théâtre à Brazzaville au Congo (de l'autre côté du fleuve, l'autre Congo en face de Kinshasa), a longtemps été comédien au Rocadozoulou (chemin vers le ciel) Théâtre troupe du célèbre dramaturge Sony Labou Tanzi.

    Soit onze personnes pour l'atelier, tous comédiens et comédiennes très motivés, engagés et très expérimentés pour les plus anciens.

    Thierry Crozat

    A suivre


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  • Première expérience de roman audio. Celui-ci est lu par l'acteur belge Emmanuel Dekoninck. J'avais auparavant écouté "Entrer en philo" de Jean-Paul Jouary. Toujours à la même occasion, à savoir ma néo-pratique sportive, solitaire et fastidieuse en salle. C'est tout ce que j'ai trouvé pour remplacer mon cours d'aïkido qui comme toute activité sportive avec enseignant se pratique exclusivement le soir, au moment où les gens normaux peuvent s'y rendre. Ces salles déprimantes aux vélos alignés et autres instruments de torture sont les seules à pratiquer un horaire continu.
    L'encrassement consécutif à la vie dissolue des après spectacles exigeait de toute urgence à mes poumons et à mon coeur une considération minimale. Comme la simple perspective de fréquenter ces lieux voués au culte du corps me révulsait au plus haut point, y subordonner une lecture auditive me parut par contre un compromis envisageable. Grand bien m'en fit.

    Si j'ai trouvé "Entrer un philo" quelque peu fastidieux - dû à l'austérité du sujet, "Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" fut magiquement salvateur. Ce genre de littérature est du pain bénit pour une écoute accessoire. Si cela peut m'irriter ou m'impatienter en lecture, en revanche le rythme de son écoulement et la qualité de son style furent on ne peut plus adéquats en la circonstance. Et même mieux, je dirais que j'ai pu en faire une lecture physique, les mots trouvant répercussion immédiate dans ma corporéité. Ou plutôt, mon corps mis à contribution de diverses façons influençait également la captation de l'intrigue. Et tous deux se nourrissaient à merveille m'égarant dans une perception nouvelle et particulière. Les traités philosophiques, malgré toutefois la simplicité de celui de Jouary, sont par trop cérébraux pour que cet échange puisse s'opérer alors qu'une histoire vécue par des êtres vivants, aux émotions tangibles, à la chair palpable est rendue plus réelle encore. (Qu'on m'explique pourquoi on s'évertue à enregister tant de débats philosophiques ou de monuments littéraires !) Le roman de gare, à supense, à l'écriture fluide et efficace se prête sans aucun doute d'idéale façon au livre audio. En tout cas mon objectif fut plus qu'atteint : je me réjouissais de me rendre dans cette salle impersonnelle et sordide pour pouvoir entendre la suite de l'aventure de Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander.

     


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  • Une mouche dans l'oeil gauche :
    il l'écrase d'un coup de poing.
    Il ne sait pas encore que ce bourdonnement obsédant provient de ses nerfs
    tout comme il ignore la raison qui le pousse à cracher sur son miroir
    comme on quitte la femme qu'on aime au moment de la pénétrer.
    Il ignore la raison qui l'a poussé ce matin à cracher sur le visage de la femme qu'il aime
    au moment d'entrer en elle
    à la seconde où elle lui criait : viens !
    Il a fait ce qu'il avait à faire.
    Une mouche dans chaque oeil :
    il ne voit plus rien !
    Il voudrait pénétrer à l'intérieur de son miroir.
    Il voudrait qu'une femme l'effleure de son sexe virginal
    un matin dans un aéroport.
    Son avion s'enfoncerait dans la mer.
    Entre les cuisses de chaque femme sommeille un océan rouge
    comme des entrailles de mouche écrasée sur un tapis.

    Vital Bender


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  • Ma dernière nuit fut aussi courte que les précédentes. J'en déduis aux ronflements de mes co-chambristes que la confiance gagne et je m'en veux de n'avoir pas pensé à des tampons auriculaires. Déjà que je commence à appréhender mes nuits comme il fut un temps les épreuves de mathématiques. Hormis le fait que je ne m'endors que peu avant le réveil, je prends un peu le rythme des journées. C'est pas bien compliqué ; méditer, manger, méditer, manger, doucher, méditer, grignoter, méditer, écouter, méditer, essayer de dormir. Et ce sera ainsi jusqu'à la fin.
    Pour le troisième jour la consigne demeure la même avec une zone d'attention encore rétrécie. Juste la partie de lèvre sous le nez. Observer mentalement ce cm2 de peau pendant onze heures. Après deux jours, l'agitation est tout de même moindre. Les pensées intruses continuent de se manifester mais plus paisiblement. Il est toujours aussi difficile de rester concentré longtemps mais les eaux intérieures s'apaisent et déposent un peu de leur tourbe. Tout est mis en oeuvre pour que dans ce comportement de mouton on touche à notre individualité ; pour peut-être, en fin de compte, un jour la transcender. Mais ça c'est en devers soi. Pour l'instant il y a ce point sous le nez.


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