• Le calme plane sous l'envoûtement de la brume
    Et du port nous parviennent quelques sons incongrus
    Comme arrachés à l'univers de la mer nue.
    Le soleil ne cache même plus son amertume,
    La mine voilée, il abandonne le gris au gris.

    A la sirène d'un navire répond celle d'un train,
    Liverpool tente de s'éveiller de sa torpeur
    Mais voilà trop de nuits que ses efforts restent vains.
    L'ennui a volé l'innocence à la candeur,
    Au fil des jours les âmes s'émiettent ici.

    Des téléviseurs répandent déjà leur blasphème
    Sur la crédulité où l'ignorance amène.
    Tandis qu'au dehors, endormi sur la voie,
    Celui-là à la vie jamais plus n'aura droit ;
    Martyr de l'insousiance, tué par les médias.

    Mais qui est la victime de ce crime annoncé ?
    Ce bébé tailladé, ces enfants assassins
    Ou alors une société corrompue, blessée,
    Détruite et s'efforçant de ne pas s'effondrer
    En soulignant l'horreur de ce triste matin ?

    Le regard contemporain heurté par la scène
    Oublie les causes qui engendrèrent cette géhenne.
    Ces reflets quotidiens, cette violence quotidienne,
    Qui la veut sinon nous et notre morosité,
    Ce vif besoin de fuir notre réalité ?

    Nous n'achetons que ce que nous estimons perdu.
    L'offre ne reflète que notre mégalomanie,
    Elle ne satisfait que notre ambition déçue
    Et ne crée que d'impossibles scénarii
    Encore capables d'émouvoir nos sens perclus.

    Alors, choyés dans le confort des habitudes,
    Nous écoutons serviles l'écho d'une voix prude
    Qui apaise les remous des révoltes de nos coeurs.
    Tous voient mais personne ne s'élève contre l'absurde.
    Du grand chamboulement nous en avons trop peur.

    "Les valeurs présentes ne doivent pas être ébranlées !"
    Pourtant, bercés par l'illusion d'avoir raison,
    Nous souffrons et désabusés nous lamentons.
    Toutes ces tromperies jamais ne nous apaiseront :
    Aucun divertissement n'efface nos péchés.

    Les membres défaits, la peau meurtrie, les os brisés,
    Le regard plongé dans une mer de cruauté,
    Il n'aura servi qu'une indignation programmée
    Dans un monde à la dérive où pour notre malheur
    L'ennui a volé l'innocence à la candeur.


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  • Nous sommes à N'Djili, périphérie est de la ville. Quartier "rouge" et très populaire nous précise Edo. Ce sont les habitants de N'Djili qui ont résisté à mains nues aux rebelles du RCD qui entraient dans la ville en 1998. Pour les remercier, Laurent-Désiré Kabila leur a construit un grand marché sur les décombres de l'immense usine de General Motors qui avait été pillée en 1991 par les soldats de Mobutu qui ne percevaient plus leur solde dans les derniers jours du règne du pauvre homme. "Après moi le déluge" disait-il. En résumé, si je vous dis que Kinshasa est une ville entièrement sinistrée depuis le pillage de 1991, vous pouvez commencer à vous faire une faible idée. Une fourmilière incessante sur un champ de ruines et d'ordures. A perte de vue. A perte d'avenir...
    Kinshasa est noire même le jour.

    Thierry Crozat


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  • Le jour de la première se rapproche à grande vitesse. Cette boule au ventre si caractéristique et qui ne manque jamais d'accompagner ce genre d'événement manifeste sa présence de manière croissante. Bastien Fournier continue de rédiger ses décomptes rendus dont je vous donne une nouvelle adresse que celle révélée précédemment. Sur l'adresse précédente il en manque certains tandis que sur son site tout y est. Dans leur ordre de parution et d'un accès facile.

    Faites-y un tour. C'est un régal.


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  • Comment désirer la justice sans faire de tort ? Comment ne jamais déranger ceux que nous croisons ?
    Il est impossible d'éviter la provocation à moins de vivre reclus, l'existence même étant une provocation, un accident. Le provoqué se sent ébranlé par un avis différent - ou tout simplement par un avis. Mais finalement seul qui se sent ébranlé doit se rééquilibrer. De là à oser que les possibilités de changement surviennent de la contradiction... en tout cas en partie. De changement ou de cristallisation, selon. Et pour éviter qu'il s'agisse du second il serait nécessaire de nous débarrasser de nos peurs, de cette oscillation entre la crainte et la conviction, entre l'ambition et la lâcheté, nous libérer de notre fichue nature humaine, de notre instinct de survie, de ce ravageur égoïsme, de cette faiblesse de nous estimer, non pas pour ce que nous sommes mais pour ce que nous miroitons chez l'autre. Peut-être que ce jour nous pourrons être de vrais croyants et non pas de ceux poussés vers une réflexion ou une prise de conscience uniquement intéressée.
    Il ne faut plus croire en Dieu, même s'il existe. Il faut se battre pour ce qui est juste parce que c'est juste et sans penser à la récompense. Donne-nous la force de suivre Ta voie en nous permettant de T'oublier ; sans la présence de Ton existence. Ca serait Ton ultime preuve d'Amour, du plus grand, du Tien.

    (Texte qui en toute logique conclut la première série écrite en 1993. :-) Comment continuer après ça ?)


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  • Happé dans les nimbes à Athènes, Oedipe n'est plus.
    C'est là, face à la mer que nous retrouvons Antigone. Orpheline devant l'immensité de l'étendue aquatique, de sa vie soudain sans but. Il y a si peu de temps qu'elle était entièrement tendue vers ceux de son père.
    Et c'est là qu'elle décide son retour à Thèbes. Derrière ces hautes et riches murailles que se disputent ses deux frères. En quête d'une nouvelle action qui permettrait l'expression de son dévouement ? En fuite d'une prise en charge de sa propre indépendance ? En tout cas en caressant le naïf espoir d'empêcher la lutte fratricide de Polynice et d'Etéocle. En tout cas dans l'impossibilité de faire autrement que de tenter de détourner l'inéluctable.
    Ainsi il y a quelque chose d'essentiellement christique dans le destin saisi, interprété et magnifié par Bauchau :
    Son refus du conflit à tout prix. Et ce malgré une disposition naturelle aux arts de la guerre.
    Son indifférence au luxe et son engagement en faveur des démunis et des parias qui ira jusqu'à la réduire - à nouveau, puisqu'elle l'avait déjà fait pour son père - à la mendicité. Et ce malgré son statut royal.
    Son incapacité contextuelle à devenir mère. Et ce malgré ses amours sincères et son désir profond.
    Jusqu'à son sacrifice ultime qu'elle considère plus à même à empêcher une nouvelle effusion de sang, plus conforme à ses convictions intimes. Dans le sens de cette intimité toute féminine. Cette intimité cachée, contenue au sein même de l'organisme. Au lieu même du miracle de la gestation, de la naissance et de la vie.

    Et c'est cette vertu de vie qu'elle proclame, qu'elle hurle dans ce monde mâle de la mythologie, ce monde aux moeurs masculines, aux valeurs guerrières. Car qu'opposer d'autre que son cri à l'aveuglement caractéristique de l'orgueil et des ego des hommes ? Et que nous reste-t-il aujourd'hui à nous dans un monde où en fin de compte ce sont toujours et encore ce même fonctionnement et ces même contre-valeurs qui dominent ?


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