• Encore une nuit sans fermer l'oeil.
    Des mégots partout jusque dans mon lit
    jusque dans mon ventre.
    Les clopes je ne les fume plus je les avale vivantes comme ces petits vers qui grouillent à l'intérieur de ma pensée.
    Il fait déjà jour.
    Je lâche un gros pet mystique.
    J'aime cette vie.
    Cette vie souterraine.
    Cette vie transitoire.
    Un mouchoir traîne : j'y fais un noeud
    pour ne pas oublier de revenir à cette vie si je m'endors.
    C'est drôle tous ces mouchoirs pleins de noeuds...
    Tous ces noeuds aux fenêtres.
    Toutes ces fenêtres qui clignotent tandis que je cherche en vain le sommeil.
    J'aime cet instant de la vie qui s'arrête
    cet instant hors du temps poisseux et de la raison.
    Je me lève pour aller pisser.
    Le jour point jusque dans ma culotte.
    La chasse d'eau siffle un air de jazz.
    Si ma mère était vivante elle me dirait : pourquoi ne dors-tu pas ?
    Elle m'imagine encore à l'intérieur de sa bulle.
    Ce n'est pas ainsi que je suis venu au monde.
    Je suis tombé du ciel au fond d'une cuvette de W-C.
    Au fait pourquoi est-ce que je ne dors pas ?
    Ai-je trop espéré de la vie ? Trop ?
    Trop bandé pour elle ?
    Il faut que je jouisse !
    Dormir ! il faut que je dorme !
    Si ma mère était vivante
    elle me prendrait dans ses bras
    et me bercerait.

    Vital Bender


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  • L'autre matin (c'était hier ou un autre matin)
    les rues empestaient l'égout des bouches et des lèvres inutiles
    les passants réverbères allumés réverbères éteints allumés
    clignotaient dans le brouillard buée des bouches
    des bouches d'égout
    et des lances d'incendie.
    Un chien couvert de pellicules de jour qui se transforme en jour qui se transforme
    en chien peut-être un autre chien
    dans une autre ville
    à travers d'autres rues puantes inutiles.
    Un couple sans histoire
    un homme avec un chapeau et sous son chapeau qu'il soulève devant chaque réverbère sur sa route rectiligne
    une autre femme aux sourcils de duvet d'oisillon aveugle
    d'autres apparences
    d'autre fonctions
    d'autres déguisements facultatifs.
    Un homme au passé révolu
    (chauve et les mâchoires en éventail tout autour de la nuit qui monte
    qui n'en finit pas de monter et de descendre sur la ville sur cette ville celle-ci et aucune autre
    qui n'en finit pas de s'engouffrer au fond des bouches béantes et des orbites creuses)
    claque des mâchoires arrache un morceau de chair à l'immense magma de ténèbres pantelantes.
    Un homme (d'autres accessoires...)
    une femme qui lui demande l'heure chaque fois qu'il veut l'embrasser
    à qui il répond immanquablement inutilement "je t'aime".
    Elle ne le croit pas.
    Comment pourrait-elle le croire ? - Non ! pas lui !
    Que signifie tout cela : aimer croire aimer ?
    C'est une autre histoire que je vous raconte là
    dans une autre vie
    une autre ville
    avec des champignons sur les façades
    des rats à l'intérieur des murs
    à l'intérieur des bouches
    des rats dans le vagin des femmes
    dans le ventre des nouveaux-nés.
    Pourquoi des rats ?
    Pourquoi pas ?
    Quelques fleurs aussi par-ci par-là.
    Tout aussi inutiles.
    Pourquoi des fleurs ?
    Pourquoi des corolles
    ces pétales ?
    Ces tiges que les passants anémiques
    piétinent en regardant l'heure ?
    L'heure rouge de la fin d'un geste
    de la fin d'un signe
    quand le geste qui se prolonge
    touche le ciel
    et devient fumée.
    Fumée pour trahir la soif
    fumée pour masquer les rides
    les usages
    les excréments...
    La femme dit à l'homme : tu es trop sentimental...
    L'homme écrase une fleur et pense : elle ne m'aimera jamais.
    C'est une autre mort
    un autre souffle avide
    une autre certitude inéluctable.
    Un réverbère.
    Un chien.
    Des urinoirs.
    Une autre vie...

    Vital Bender


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  • Le spectre de nos amours sous son voile flottant
    danse pour mes yeux et pour les yeux des humains
    incompréhensibles humains
    qui ne savez déceler au-delà de cet horizon de teinture morte
    l'éclat de ce visage et cette bouche et le cri de cette bouche qui prend l'eau.
    Le spectre de toute une vie
    nos amours comblées incomblées
    auxquelles nous attachions au bout du compte si peu d'importance.

    Vital Bender


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  • Ce qu'il faut d'ombre bleue et blanche d'ombre diaphane tout de même
    pour masquer ce visage poupin
    surgi d'une fente de la terre.
    On ne voit que lui sur cette plaine
    lui et son reflet d'émail
    sa carapace de malheurs sans précédent.
    Il appartenait à un homme sans doute
    ce visage cet accident de terrain
    à un homme ou à un être incorporel
    à quelqu'un qui crut être et n'a jamais été
    qu'une craquelure sur une plaine aride
    qu'une courbe de niveau mal définie
    dans un ciel à l'abandon.

    Vital Bender


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  • Dans le cratère de ta chevelure dénouée
    un oiseau chante à tue-tête
    un musicien ronge son frein
    devant un verre vide.
    Il regarde son violoncelle
    ballotté par les vagues
    il écoute l'oiseau menteur
    lui susurrer à l'oreille
    que le monde est beau
    que la lumière reviendra
    avec les débris de son instrument.
    L'archet repose sur la table
    l'oiseau sort du cratère
    tes cheveux sentent bon
    le musicien essuie une larme
    commande un autre verre
    mais il n'y a personne.
    La mer est si agitée
    qu'on ne sait plus
    si c'est elle ou si c'est toi
    qui a brisé ce coeur
    ce coeur d'homme.
    De la fumée partout de la fumée !
    Le choc d'un morceau de bois contre un récif
    le tintement d'un morceau de coeur contre un verre vide...
    Le musicien pense qu'il va mourir.
    Sa main tente de saisir l'archet
    retombe
    fumée
    verre plein
    verre vide
    l'archet en travers de la gorge
    les poux dans tes cheveux...
    Un violoncelliste baigne dans son sang
    sur une grève
    qui ressemble à ton pubis.

    Vital Bender


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