• C'est un jour comme un autre.
    La mère de ces petits enfants (elle a perdu la raison) du matin au soir lance des morceaux de pain à des oiseaux imaginaires.
    Un homme sur un banc ne la quitte pas des yeux.
    Fait semblant de lire le journal de la veille entre deux averses.
    Porte un chapeau de paille rongé par les chiens errants et les intempéries.
    La femme tour à tour chantonne pour elle-même entre ses dents pointues et converse à sa façon avec les volatiles.
    L'homme sort un harmonica de sa poche.
    Encore une de ces vies à oublier avant même de l'avoir vécue !
    Encore un de ces mouchoirs crasseux dans lequel on mord par dépit ou par habitude
    ou par passion.
    Depuis plus d'une heure la jeune femme demeure prostrée dans son laps de temps.
    L'allée est vaste comme un ciel dont on a perdu conscience.
    Il ne faut plus me parler d'oiseaux (d'oiseaux d'oiseaux d'oiseaux !...) pense-t-elle en grattant le sol de ses doigts trop fins.
    Un enfant détale aussitôt.
    Un autre essuie une larme en regardant sa mère sucer un petit caillou blanc.
    L'homme jouit du spectacle.
    Les jours ressemblent aux jours ressemblent aux jours ressemblent... pense-t-il en enveloppant son harmonica dans un mouchoir sale.
    La pluie redouble:
    Le deuxième enfant se met à courir.
    Court court vers sa mère.
    Vers la cristallisation du vide.
    L'homme soulève son chapeau.
    Un oiseau s'en échappe.
    Puis un autre.
    Un autre encore...
    L'enfant le regarde ébahi.
    A demain dit l'homme.
    Et il s'en va.
    La main dans son journal.
    Le journal sur le banc.
    Le banc dans son chapeau.

    Vital Bender


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  • Je sors d'un café en ruine
    laissez-moi je n'ai plus de tronc
    plus de tête
    je vacille
    me désagrège lentement
    dans la lumière très douce
    très pure.
    Le monde autour de moi
    poursuit tant bien que mal
    son extraction
    hors de sa béance rouge.
    Je l'ai poussée cette porte
    comme un supplicié
    ou un cadavre
    je suis resté debout
    parmi la foule visqueuse
    qui n'avait d'yeux
    que pour ton masque
    ton masque rouge.
    L'air est saturé de pollens
    des gosses hurlent sur un trottoir
    de l'autre côté des murs
    de l'autre côté des sons
    de l'autre côté du temps
    et de la blancheur.
    Je voudrais tatouer ton coeur
    partout sur ma peau
    sur des fragments de ciel
    sur les mers du sud
    sur la structure de la nuit
    de la nuit rouge.
    Des morts rampent le long des façades
    laissez-moi
    je n'ai plus de bouche
    plus de sexe
    plus de raison...
    Un chien traverse la rue
    un bossu rit aux éclats
    un aveugle tire sur sa clope
    avec de brusques sursauts
    d'homme châtré.

    Vital Bender


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  • Le feu atomise l'espace
    nous avons des os des viscères
    de longs poils en toutes saisons
    des écailles pour capter la lumière.
    Nos enfants jouent avec des têtes de morts
    qu'ils lancent pour faire tomber des quilles
    sur une passerelle flottante.
    Le feu consumait nos consciences rétives.
    Nos femmes étaient toutes frigides
    cependant
    elles savaient se laisser aimer
    quand nos bouches goulues
    entre leurs cuisses
    crachaient de petits poissons.
    Le feu dégorgeait des ruelles
    que nous arpentions avec tout notre passé
    nos têtes chauves
    nos soucis majeurs.
    Nous poursuivions à l'infini
    tant de visages perdus
    visages bleuis
    visages de femmes...

    Vital Bender


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  • J'ai écrasé le chien
    dans le cendrier
    la cigarette aboie tristement.
    Ta main fixe écarte un rayon
    sous les feuilles
    sous des lambeaux d'heures
    ta main qui savait aussi se fondre
    dans le paysage
    été comme hiver
    quand je hurlais à la mort
    pour conjurer cette obsession de la joie
    cette obsession de l'amour.
    Alors je devenais moi aussi invisible
    je disparaissais sous la terre
    tu tombais aux pieds de la perfection
    en l'accusant de tout ton corps
    et elle t'écrasait les mains
    dans une écuelle.
    Aujourd'hui tes doigts se faufilent
    entre d'autres formes embuées.
    Le chien est mort : il s'est éteint
    comme un cigare
    sur le bord d'une assiette.
    Je ne fume presque plus.
    J'aboie à sa place
    quand tu me prends sur tes genoux
    pour me consoler (oh si peu !)
    de n'être point parfait.

    Vital Bender


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  • Mais aucune page ne restera indéfiniment vierge.
    Les chevaux piaffent d'impatience à divers points de cet horizon quadrillé
    et dans une marge fictive
    et dans chaque petit carreau
    brille
    une constellation d'yeux porcins.
    Le poète écarquille les yeux
    allume une cigarette
    fronce les sourcils
    écarte le voile
    et la bouche béante
    contemple le monde réel.
    Il ne respire plus par lui-même.
    Chaque palpitation de son corps
    correspond à celle du cosmos
    qu'il sent fluer en lui
    et cette union sacrée
    le rend fou.
    Une odeur tenace de mégots et d'apparences fumigènes
    l'oblige à réintégrer sa carcasse.
    Le poète crache un noyau de cerise sur le bitume
    soupire profondément
    se frotte les yeux en songeant à des formes rétrospectives au-dessus des toits
    derrière des ruines
    des tentures.
    Il a faim.
    L'ombre à l'orée de son cou devient jaune.
    Il se tâte la carotide.
    Sa bouche tète un sein (cafetière renversée)
    le chat fait un mouvement brusque
    la photo sur le mur dissimule une éclaboussure de cervelle humaine (ou végétale).
    Ce qui fut plus jamais ne sera :
    cette perspective profonde
    le ballet des sirènes (des sorcières)
    tout cela et tant de rêves dissous
    dans l'acide du temps.
    Le poète simule un cri de femme anogarsmique
    qui fait sursauter le chat
    et siffler la cafetière.
    Le sapin de Noël est tout sec
    il faudra songer à le brûler
    songer à faire un enfant
    à écouter le tam-tam des heures creuses contre les tempes
    songer à tous ceux à toutes celles
    à qui personne ne songe...
    Le poète pour qui la femme
    n'est qu'un objet virtuel...

    Vital Bender


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