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    Dans le cadre de la saison du petit théâtre, la compagnie a planté son nouveau chapiteau sur l'Esplanade de Montbenon, à Lausanne et s'offre un Tartuffe ébouriffant. Une fin de tournée tambour battant.

    "Faire du théâtre populaire, coloré, goûteux, engagé" : la profession de foi de la compagnie vaudoise Les ArTpenteurs, fondée en 1999 par Chantal Bianchi et Thierry Crozat, n'est pas une imposture. Preuve en est son nouveau spectacle qui, depuis mai dernier, poursuit une vaste tournée. On se régale à découvrir les (més)aventures de ce Tartuffe imaginé par Molière. Du rythme, du plaisir de jouer, une scénographie astucieuse, le tout sous un joli chapiteau, pas trop grand, laissant voir les comédiens de près tout en gardant la juste distance entre les spectateurs et l'espace scénique.

    A Lausanne, sur l'Esplanade de Montbenon, jusqu'au 20 septembre, la compagnie ouvre en fait la saison du petit théâtre, ici coproducteur. Une fois n'est pas coutume, le spectacle dépasse allégrement l'heure de jeu. Presque le double en vérité : inutile d'amener les tout petit. L'âge recommandé est dès 12 ans, mais on voit bien, pendant la représentation, que les parents et grands-parents s'amusent au moins autant que les enfants ! Toute la troupe est au diapason. En tête de liste, Thierry Crozat en Tartuffe machiavélique, faux dévot ayant la fâcheuse tendance de prendre les autres pour des veaux...

    Tel est pris qui croyait prendre, cependant. Il pensait manipuler le brave Orgon, chef de famille crédule, comme aveuglé dans un premier temps par la pieuse moralité de son nouvel ami et prêt à se dépouiller en sa faveur de tous ses biens. Cette même famille, sa femme en tête, trouvera finalement le moyen de confondre le vil personnage, qu'on croyait chaste, mais bien vite émoustillé par les plaisirs de la chair.

    La charge de Molière sur les fausses croyances et l'appât du gain tient évidemment le coup. La nature humaine n'a guère évolué ces derniers siècles. Il est toujours des mascarades en cascades. Jouer un rôle, jouer son rôle : il en va au théâtre comme dans la vie. Une grande farce donc, que les ArTpenteurs distillent avec malice et moultes perruques, utilisant à merveille le dispositif scénique bi-frontal (et un grand podium au centre, avec trappes et table intégrée). Du théâtre expressionniste teinté de rap : Obaké, de son vrai nom Léo Regazzoni, reprend à son compte et à sa manière les lettres que Molière écrivait au roi d'alors. Des intermèdes musicaux, en quelque sorte, comme Lully en composait pour l'auteur.

    Michel Caspary

     


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  • Encore une nuit sans fermer l'oeil.
    Des mégots partout jusque dans mon lit
    jusque dans mon ventre.
    Les clopes je ne les fume plus je les avale vivantes comme ces petits vers qui grouillent à l'intérieur de ma pensée.
    Il fait déjà jour.
    Je lâche un gros pet mystique.
    J'aime cette vie.
    Cette vie souterraine.
    Cette vie transitoire.
    Un mouchoir traîne : j'y fais un noeud
    pour ne pas oublier de revenir à cette vie si je m'endors.
    C'est drôle tous ces mouchoirs pleins de noeuds...
    Tous ces noeuds aux fenêtres.
    Toutes ces fenêtres qui clignotent tandis que je cherche en vain le sommeil.
    J'aime cet instant de la vie qui s'arrête
    cet instant hors du temps poisseux et de la raison.
    Je me lève pour aller pisser.
    Le jour point jusque dans ma culotte.
    La chasse d'eau siffle un air de jazz.
    Si ma mère était vivante elle me dirait : pourquoi ne dors-tu pas ?
    Elle m'imagine encore à l'intérieur de sa bulle.
    Ce n'est pas ainsi que je suis venu au monde.
    Je suis tombé du ciel au fond d'une cuvette de W-C.
    Au fait pourquoi est-ce que je ne dors pas ?
    Ai-je trop espéré de la vie ? Trop ?
    Trop bandé pour elle ?
    Il faut que je jouisse !
    Dormir ! il faut que je dorme !
    Si ma mère était vivante
    elle me prendrait dans ses bras
    et me bercerait.

    Vital Bender


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  • Presque tous les chemins débouchent sur d'autres voies.

    Et ceux qui donnent sur une impasse sont l'ouverture à la vie sauvage.


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  • L'autre matin (c'était hier ou un autre matin)
    les rues empestaient l'égout des bouches et des lèvres inutiles
    les passants réverbères allumés réverbères éteints allumés
    clignotaient dans le brouillard buée des bouches
    des bouches d'égout
    et des lances d'incendie.
    Un chien couvert de pellicules de jour qui se transforme en jour qui se transforme
    en chien peut-être un autre chien
    dans une autre ville
    à travers d'autres rues puantes inutiles.
    Un couple sans histoire
    un homme avec un chapeau et sous son chapeau qu'il soulève devant chaque réverbère sur sa route rectiligne
    une autre femme aux sourcils de duvet d'oisillon aveugle
    d'autres apparences
    d'autre fonctions
    d'autres déguisements facultatifs.
    Un homme au passé révolu
    (chauve et les mâchoires en éventail tout autour de la nuit qui monte
    qui n'en finit pas de monter et de descendre sur la ville sur cette ville celle-ci et aucune autre
    qui n'en finit pas de s'engouffrer au fond des bouches béantes et des orbites creuses)
    claque des mâchoires arrache un morceau de chair à l'immense magma de ténèbres pantelantes.
    Un homme (d'autres accessoires...)
    une femme qui lui demande l'heure chaque fois qu'il veut l'embrasser
    à qui il répond immanquablement inutilement "je t'aime".
    Elle ne le croit pas.
    Comment pourrait-elle le croire ? - Non ! pas lui !
    Que signifie tout cela : aimer croire aimer ?
    C'est une autre histoire que je vous raconte là
    dans une autre vie
    une autre ville
    avec des champignons sur les façades
    des rats à l'intérieur des murs
    à l'intérieur des bouches
    des rats dans le vagin des femmes
    dans le ventre des nouveaux-nés.
    Pourquoi des rats ?
    Pourquoi pas ?
    Quelques fleurs aussi par-ci par-là.
    Tout aussi inutiles.
    Pourquoi des fleurs ?
    Pourquoi des corolles
    ces pétales ?
    Ces tiges que les passants anémiques
    piétinent en regardant l'heure ?
    L'heure rouge de la fin d'un geste
    de la fin d'un signe
    quand le geste qui se prolonge
    touche le ciel
    et devient fumée.
    Fumée pour trahir la soif
    fumée pour masquer les rides
    les usages
    les excréments...
    La femme dit à l'homme : tu es trop sentimental...
    L'homme écrase une fleur et pense : elle ne m'aimera jamais.
    C'est une autre mort
    un autre souffle avide
    une autre certitude inéluctable.
    Un réverbère.
    Un chien.
    Des urinoirs.
    Une autre vie...

    Vital Bender


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  • C'est cela. Comme rien ne le laissait prévoir la dernière fois que j'ai parlé du Tartuffe des Artpenteurs, la tournée se prolonge encore à Moudon le temps de deux représentations. Et pour ceux dont le titre du post demeure obscur, un petit tour ici ne serait pas de trop. Ce sera donc ces vendredi 25 et samedi 26 septembre à 20h sous notre chapiteau installé derrière la gare.

    Facile à trouver.

    La photo a été prise lors de notre premier filage en vue de la reprise à Lausanne. On y voit Corinne Galland (Elmire) et Thierry Crozat (Tartuffe) lors de la fameuse scène de la table.

    Et c'est le sourire en coin que je rédige ce mot car si deux semaines sur trois étaient complètes à Lausanne, je sais bien que c'est grâce aux annonces publiées sur ce blog visité assidument par une foule en délire. Blague mise à part je repense à la lassitude d'un blogueur figurant d'ailleurs dans mes liens et qui se plaignait de visites somme toutes nombreuses et de commentaires quasi inexistants ; de cette tâche quotidienne qui finissait davantage par ressembler à l'absurde travail d'un Sisyphe qu'à celui d'un Prométhée : charger une toile surchargée de moucherons insipides, pour ne pas dire indigestes (selon mes mots) sans aucune gratification en retour.

    Et je dois dire que, curieusement, ce sentiment d'inutilité et de gratuité me procure une jubilation que je qualifierais de saine.
    Personne n'ayant lu cet article ne se déplacera à Moudon. Un centième de ceux qui se sont par mégarde égarés en ce lieu le lira en entier. Et c'est normal ! J'agis de même. On n'a plus le temps ! Sur le net, tout article de plus de dix lignes m'épuise par anticipation. Mon horloge interne lance sa cadence et celle-ci recouvre tout alentour et gâche ma capacité à déguster les mots.
    Et pourtant je l'écris. Et c'est là que ça devient intéressant car je trouve que cela englobe toute la complexité humaine. Savoir que c'est inutile mais le faire quand même. Ne plus attendre de retour mais en espérer quand même. Se dire que l'on écrit pour soi et le publier pourtant. Insister par orgueil pour toucher à l'humilité. S'accrocher pour pouvoir lâcher prise. Merveilleux !


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