• Le calme plane sous l'envoûtement de la brume
    Et du port nous parviennent quelques sons incongrus
    Comme arrachés à l'univers de la mer nue.
    Le soleil ne cache même plus son amertume,
    La mine voilée, il abandonne le gris au gris.

    A la sirène d'un navire répond celle d'un train,
    Liverpool tente de s'éveiller de sa torpeur
    Mais voilà trop de nuits que ses efforts restent vains.
    L'ennui a volé l'innocence à la candeur,
    Au fil des jours les âmes s'émiettent ici.

    Des téléviseurs répandent déjà leur blasphème
    Sur la crédulité où l'ignorance amène.
    Tandis qu'au dehors, endormi sur la voie,
    Celui-là à la vie jamais plus n'aura droit ;
    Martyr de l'insousiance, tué par les médias.

    Mais qui est la victime de ce crime annoncé ?
    Ce bébé tailladé, ces enfants assassins
    Ou alors une société corrompue, blessée,
    Détruite et s'efforçant de ne pas s'effondrer
    En soulignant l'horreur de ce triste matin ?

    Le regard contemporain heurté par la scène
    Oublie les causes qui engendrèrent cette géhenne.
    Ces reflets quotidiens, cette violence quotidienne,
    Qui la veut sinon nous et notre morosité,
    Ce vif besoin de fuir notre réalité ?

    Nous n'achetons que ce que nous estimons perdu.
    L'offre ne reflète que notre mégalomanie,
    Elle ne satisfait que notre ambition déçue
    Et ne crée que d'impossibles scénarii
    Encore capables d'émouvoir nos sens perclus.

    Alors, choyés dans le confort des habitudes,
    Nous écoutons serviles l'écho d'une voix prude
    Qui apaise les remous des révoltes de nos coeurs.
    Tous voient mais personne ne s'élève contre l'absurde.
    Du grand chamboulement nous en avons trop peur.

    "Les valeurs présentes ne doivent pas être ébranlées !"
    Pourtant, bercés par l'illusion d'avoir raison,
    Nous souffrons et désabusés nous lamentons.
    Toutes ces tromperies jamais ne nous apaiseront :
    Aucun divertissement n'efface nos péchés.

    Les membres défaits, la peau meurtrie, les os brisés,
    Le regard plongé dans une mer de cruauté,
    Il n'aura servi qu'une indignation programmée
    Dans un monde à la dérive où pour notre malheur
    L'ennui a volé l'innocence à la candeur.


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  • Dans un décor d'extérieur, toujours à Amsterdam, ils assistent à la tractation d'un homme sans âge, une boursouflure molle au niveau du sexe, avec une femme au regard aussi absent que ses seins sont présents.
    - Il va se vider dans un râle honteux, se sentant une haine prodigieuse pour lui comme pour elle qui aura vécu déjà morte, les yeux plongés dans l'infini de son néant. Hmmm ! Splendide !
    Un profond dégoût transperce notre homme à la vue de la cruelle expression de satisfaction qui transfigure son abominable guide. Dans un mouvement exaspéré de colère il se rue sur lui mais avant même d'avoir pu l'atteindre ils se trouvent transportés dans une salle immense où des hommes discutent le prix d'un quelconque marché dans un état de douloureuse tension et de lourde animosité. Les individus sont effacés, ne subsiste que la volonté de puissance et de domination. Cet aspect qui le frappe alors contracte ses viscères. A lui qui si souvent fut dans cette même situation. Mais il n'a guère le temps de s'attarder à ce sentiment ; leur nouveau paysage ils le survolent, comme mus par un invisible moteur. Des soldats, du désert, des flammes, des cadavres éventrés, des mines décharnées, des paysages dévastés, un pétrolier déchiré, des villes, des métros bondés, des étudiants insipides, des immeubles, une chambre, un jeune homme. Il griffe fébrilement une feuille de papier, la blesse de son trait, y laisse une cicatrice intelligible.
    Ils sont là tous deux derrière son dos.
    - Il écrit notre histoire vois-tu ? Tout ce que tu fus contraint de subir est né de ses délires oniriques. Regarde-le. Vaine ambition d'un coeur qui me nourrit comme nous avons nourri son imagination. Acharnement subtil vers ce qui n'a pas de but. Artisan de son propre mal, du tien et de ma vie merveilleuse au-delà de toute autre. Touchant non ? Viens, laissons-le au charme de ses illusions, il n'est pas plus réel que nous-mêmes.

    Sur le pont il jette son mégot puis continue sa marche, enveloppé de la fumée du monde, quand souffle au loin un indolent battement d'ailes.


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  • - Tu parles comme si ce mal terrible dont tu es la représentation touchait un grand nombre de personnes. Alors pourquoi moi ?
    Cette question n'eut d'autre effet que de provoquer un puissant éclat de rire chez le monstre.
    - Mais c'est qu'il y en a qui nous tiennent particulièrement à coeur. dit-il en saisissant le menton de notre homme et en lui mimant des sortes de baisers ridicules. "Néanmoins tu as raison. continua-t-il. Le mal est partout mais taisons-nous plutôt et viens ! Avec la désespérance que tu vis tu comprendras tout sans explication. Une vraie béatitude céleste ! Une illumination divine ! conclut-il dans un esclaffement guttural."
    Et avant d'avoir le loisir de protester, voilà qu'ils se trouvent tous deux dans un des bars qui bordent les canaux d'Amsterdam. Autour d'eux s'active une foule de jeunes. Un, soutenu par le bar tente de se fabriquer une cigarette artisanale. Une bière devant ses yeux, tel un phare de détresse, attend patiemment de pouvoir remplir son office. Un groupe s'échauffe un peu plus loin et chacun mêle bruyamment ses avis à ceux des autres en les alimentant à grosses goulées de bière ou bouffées de fumée. Deux autres garçons essaient de séduire une fille aux pupilles vespérales. Le premier homme dort maintenant, affalé entre sa bière et son clope qui a roulé à l'extrémité du bar.
    La strige observait tout ceci avec un ravissement extrême avant d'éructer un brame de contentement vers les étoiles. ./.


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  • - Bonsoir mon ami ! Alors, on ne m'a pas l'air dans son assiette ! La conscience titille tes entrailles ?
    Que je me sens soulagé tout de même. J'ai bien cru que je ne pourrais jamais te visiter. Tu semblais si bien te fondre dans toute cette indifférence... Bref, mieux vaut tard que jamais n'est-ce pas ?

    Ainsi emporté par son enthousiasme railleur, il bouscule du coude notre homme qui d'évidence doute encore de la réalité de cette apparition. Enfin d'un hésitant "Qui êtes-vous ?" il s'enquiert de l'identité de son interlocuteur.

    - Moi ?! s'étonne-t-il, mais je suis un vampire ! Ca se voit pas ? Un lointain cousin de ces amateurs de sang chaud qui ont fait notre réputation. Je ne suis néanmoins pas tout à fait de leur catégorie, une souche particulière en quelque sorte. Bien que je ne répugne pas à cette divine boisson, je ne la dérobe pas du cou de mes victimes mais suce simplement ce qui s'échappe inévitablement - ou presque - de chaque individu à un moment donné de son existence. En d'autre termes, je suis un Beduars.
    Allons, ne me regarde pas ainsi ! Je ne te veux aucun mal. Je me contente seulement de celui que tu consens bien à te faire. Et celui-ci, crois-moi, se trouve alimenté à de nombreuses sources partout autour de toi. On peut même dire qu'il naît de la furieuse contradiction des éléments constitutifs de chaque être humain.

    Plus ses paroles se déversaient, plus ses yeux s'illuminaient d'une jouissance savourée et mesurée. Sa taille semblait croître comme pour encore davantage écraser l'homme de son regard chargé de pesante ironie. ./.


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  • Pourtant il est triste.

    Son dynamisme coutumier semble effacé et sa pesante indifférence observe ce curieux cortège de réminiscences comme si elles n'étaient point siennes.

    Le mouvement semble s'abstenir. Seule la rivière devant lui insiste vers sa finalité. Il a réussi. Oui mais à quoi bon ? La vanité de ses trépignements éteints le heurte en plein visage comme si tout ce pourquoi il s'était battu, ce qu'il avait pu obtenir n'avaient plus le moindre sens. A nouveau enfanté sur ce pont de bois ; il est à refaire, comme au premier jour.

    Alors le monde au complet semble s'évanouir, enfoui par le roulement des flots quand un vent froid précédé d'un claquement sec de battement d'ailes brûle soudain ses tempes.
    Extirpé de son aphasie, il découvre derrière lui, accroché à une poutre du ponton comme un vulgaire sac à ordures ce qui paraît être une gigantesque chauve-souris. Mais à peine a-t-il le temps de réaliser l'incongruité de cette visite qu'un éclair lumineux métamorphose cet ôte en une sorte de vampire de cinéma. Les membranes des ailes forment maintenant une splendide cape de velours noir et des dents aiguisées pointent hors de ses lèvres pourpres qui constrastent avec un teint désespérément blafard. ./.


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