• Janvier quelconque d'une année oubliée.
    Comme deux battants à la cloche de son manteau ; ses pas sonnent sa course nocturne. Fidèle à son propre rendez-vous, il dérange les nuées à la rencontre de son ombre. Il tourne au coin de la rue du Bourg et au loin la silhouette un peu fantomatique de la passerelle se dévoile pudiquement.
    Le crissement d'une allumette rompt le rythme de sa marche. Des lampadaires postillonnent la nuit de leur frêle halo mais leur indécence contribue encore davantage à l'envoûtante ambiance que créent déjà les rues trépassées.
    Accoudé sur le rebord, sa cigarette éclaire un peu son visage à chaque aspiration. Des images défilent sans légende et sous lui le courant les emporte au loin. Il ne cherche pas à les retenir, sa volonté s'est éteinte et il s'abandonne à leur jeu. Marie, Yvan, l'usine, sa fille, Capri. Tout renaît puis meurt aussitôt, bousculé par d'autres vestiges. Toute sa vie, ses réussites, ses maîtresses, ses joutes. Les souvenirs revisitent son passé et rejettent tout instantanément. Il avait pourtant eu de la chance, il avait su prendre les risques qui s'imposaient. Aujourd'hui il est riche. Jacqueline suit ses traces. Enfin ; il est de ceux qu'on envie. ./.


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  • L'Ablate.

    J'en ai déjà parlé auparavant sur ce blog, notamment en initiant la série des "Demain avant de naître". Vital Bender y avait apporté la contribution de certains de ses poèmes. Nous étions plutôt nombreux, pas toujours les mêmes à participer à ce journal littéraire.
    Et avec certains plus téméraires nous avions aussi créé des soirées. Au début toutes simples où seulement nous lisions les textes des autres ou les nôtres. Puis ça s'était élaboré pour aboutir à des espèces de performances théâtrales où se mêlaient les délires de chacun dans un ensemble plus ou moins cohérent. Il doit en rester une trace vidéo quelque part. Je serais bien curieux de voir ça.
    Tout ceci pour en venir à la piécette qui suit, écrite tout spécialement pour une de ces soirées dont le thème rassembleur était le phonème "b a l". Elle est un peu longue pour un post mais ça vous aidera à patienter. Je sais bien que sans moi vous êtes démunis et la dernière ligne droite d'Oedipe risque de bien m'occuper ces prochains jours.


    Le grand prêtre
    Voilà mes frères, l'heure décisive du rituel suprême a sonné. Baal Zebub, que son nom soit magnifié, a affrété ses mouches à terre. Le moment tant attendu, mes fils, est à nos portes. Levez les yeux et glorifiez ce céleste instant où le produit du grand fornicateur sera enfin inséminé dans sa terre porteuse. Toutes les conditions sont réunies mes enfants, et on m'a signalé à l'instant que le colis était livré. Qu'on l'apprête donc pour l'ultime sacrifice ; que le ferment de son sang soit mêlé à la glaise matricielle et qu'ils deviennent tous deux le ciment bâtisseur de la grande destruction. (il se calme) Amenez maintenant la vierge et ôtez-lui son bâillon. Qu'on entende la délectable et sacrée supplique qui doit précéder toute mise à mort.

    Le travesti reste immobile et silencieux

    Le grand prêtre
    Ô vierge sublime ! Nous allons procéder à ton exécution et cela en passant par quatre chemins. Crie donc... griffe... hurle ! Car tu auras le privilège de voir passer ta mort.

    il observe interloqué le travesti qui demeure toujours aussi silencieux et immobile

    Le grand prêtre
    Amenez les instruments et récoltez la souffrance. Que les larmes se fondent au sang et les supplications à la douleur !

    Les bourreaux commencent lentement à démembrer le travesti qui commence à parler

    Le travesti
    J'aimerais ce soir qu'on me dise pourquoi il est des choses qu'il ne faut pas dire ou d'autres qu'on ne doit pas faire. J'aimerais aussi qu'on m'explique les critères qui permettent de classer ces choses dans les catégories du permis ou du déconseillé, de l'induit ou de l'interdit. Je voudrais comprendre ce soir pourquoi je me trouve ici où pour des raisons obscures on voudrait que je me plaigne, que je gémisse et demande grâce.

    Le grand prêtre
    Mais elle est folle !

    Le travesti
    Ca ne sera qu'une fois de plus où l'on se dérobe grossièrement à mes questions... auxquelles je me suis sans doute habitué d'ailleurs. Elles arrivent comme ça un jour on ne sait trop comment et on se gausse d'une conscience, on savoure une liberté, on arbore une supériorité, puis le temps passe et avale tout. (on lui ôte le premier bras) Mais c'est pour ça qu'on vieillit, pour ça que la peau se fripe, que les cernes noircissent et que les seins tombent. A cause de ces questions qui demeurent malgré l'inertie des automatismes, malgré les gestes qu'on répète ou ces vérités qu'on s'invente et auxquelles on croit coûte que coûte. Alors que là, tout au fond, à l'apesanteur de ce maudit instant de lucidité, la question persiste sans réponse. On évite d'y penser mais on sait ; c'est intime et indélébile.

    on lui a déjà arraché les deux bras

    Le grand prêtre
    Ta gueule ! Ta gueule ! Ta gueule ! Ta gueule !... Tu vas supplier oui !?! (il lui crache dessus et le rosse) comme pour lui-même : C'est pas possible qu'il n'ait pas mal ! Putain il va tout foutre en l'air ! au travesti : C'est bon t'as fini ?! à part : Au moins c'est déjà ça. (il arpente la scène puis décidé) Tranchez-lui le reste ! Il finira bien par crier... de toute façon il est trop tard.

    Le travesti
    Mais le plus drôle, c'est que malgré tout ça ; au lieu de se sentir libérés définitivement et inéluctablement, on s'acharne sans aucune réponse puisqu'elles n'ont pas de raison... on s'acharne à vouloir croire que c'est important, que NOUS sommes importants et qu'il faut se protéger, s'épargner émotions et douleurs, faire sa place, briller, se déhancher lubriquement aux yeux de cette digne broyeuse d'âmes, de cette institution du respectable. (on lui tranche la première jambe)
    Ou alors on s'insurge contre elle, contre le fait qu'elle nous étouffe, qu'elle ne nous permet pas de paraître le torse bombé ou les poches pleines, car on tient à son petit rôle et qu'importe les moyens (il imite le grand prêtre) "Le grand moment est arrivé" Mais quel moment pauvres cons !? Le moment de la réponse ?

    le grand prêtre s'affale et pleure sur sa cérémonie qui bat de l'aile mais seulement sur sa cérémonie

    Vous ne mesurez même pas la taille de votre bêtise. Vous êtes la victoire du monde dont vous souhaitez la fin, vous êtes son apothéose, son couronnement par l'absurde. Et vous voudriez que j'aie mal, que je souffre et que je gémisse alors que vous fûtes ma révélation, ma frontière tant attendue, cette limite où on bascule. (on lui coupe la deuxième jambe et il tombe). Léger, si léger tout à coup, je vole et vous n'en savez rien ; vous n'en saurez jamais rien de cette baffe qu'on reçoit tout à coup et qui n'a tellement aucune nécessité qu'elle en devient indispensable...
    Plus de place, plus de déhanchement, plus que l'essentiel... tellement vivant, tellement là, et pour l'éternité.
    Je vous aime couillons ! il pleure doucement, les yeux remplis d'amour
    Je vous aime.

    (A la mémoire d'Olivier qui jouait le rôle du travesti et qu'un anévrisme cérébral a depuis fauché à l'aube de sa renaissance.)


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    Parle-moi de tes aventures nordiques, de tes aurores boréales, de tes yeux bridés, du soleil levant, de ces danses de homards sous le moletonné de tes rhododendrons...
    Parle-moi de ce poivre et de ce sel, de ce qui nous laisse un peu entrevoir notre finitude et qui nous mord la fesse.
    Parle-moi un peu de ce qui ternit jusqu'à l'éclat de nos plus beaux rêves, de nos grandioses espoirs mais qui laisse apparaître des couleurs à travers les bas-fonds de l'absurde.
    Parle-moi de la mort ou de la vie, de ces pierres qui poussent et nous soulèvent avant de basculer. AU MOINS NOUS POUVONS LIRE LEUR NOM !!!

    Est-ce que tu te masturbes encore ? Là est la question et nulle part horreur !

    Ailleurs, des chevilles, une gauche, une droite, puis alternativement. En mouvement sur les feuilles mortes immobiles. Serait-ce un pléonasme ? Je n'en crois rien puisqu'elles n'ont pas de bas, pas de poils. Sauf un peut-être mais il n'a pas été oublié. Je bats leur rythme, le saccade en poubelle. Plastique. Belle de hasard.
    Rencontre.

    Il était temps, ça ne tenait qu'à un fil.


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    L'eau suit son cours
    Elle suit souvent son cours
    C'est si paisible un lit
    Si tranquille de s'écouler
    Bercé par ses propres vagues

    La jeune fille suit son cours
    Elle suit de l'eau le cours
    Au bord de son lit
    C'est si tranquille d'écouler
    Tant d'heures en pensées vagues

    Le garçon suit son cours
    Mais sa vie n'a plus cours
    Tout au fond de son lit
    C'est si tranquille d'écouler
    Ses jours dansés dans les vagues


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  • Il y a parfois des situations complètement inattendues. En cela qu'elles semblent survenir de nulle part, comme ces gouttes qui nous atteignent parfois sous un ciel vierge, et pourtant parfaitement idoines parce qu'elles nous signifient l'urgence de chaque instant, la précipitation de la vie. Comme si on nous désignait le positif en usant de son contraire, comme si la confrontation futile devait nous dévoiler le nécessaire, l'inévitable, l'importance suprême de l'important. 

    Ces petites gifles qui nous surprennent parfois et nous laissent émerveillés au lieu d'outrés sont certainement de ces phénomènes les plus intéressants de l'existence. Et force est de constater que ces prises de conscience ne se font le plus souvent que dans la rencontre soudaine et impromptue avec l'absurde. A condition bien entendu de ne pas se laisser submerger par celui-ci.

    L'absurde serait finalement nécessaire à toute évolution et le déceler dans chaque situation du quotidien ou de manière plus large dans les déroulements de l'histoire éviterait le contentement béat de soi et limiterait les répétitions désastreuses. L'absurde porterait finalement mal son nom car c'est par lui qu'on arrive à le dépasser ou par sa propre dérision qu'il nous indique la voie réelle.

    Ne maudissons plus l'absurde, plus guère de lamentation à son sujet mais ayons plutôt de la gratitude pour ces instants magiques où la vanité de nos errances est mise en lumière, où les egos démesurés sont recalibrés à leur juste mesure. Apprenons bêtement à repeindre d'humour ces fausses considérations qui nous oppressent.

    Puisque la vie peut nous paraître aussi absurde que la mort, laissons-les s'annuler mutuellement et contentons-nous de ferrer l'essentiel. Et d'aimer. Car ce sentiment n'est mièvre que pour ceux qui n'en sont plus capables.


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