• A nouveau un peu de musique pour parler cinéma. Vieux cinéma déjà puisque le Dardenne dardeur d'amour est déjà sorti il y a plusieurs années. Mais il faut le voir. Je rechignais et repoussais toujours davantage le moment tant les plans rapprochés de la caméra à l'épaule de "Le fils" m'avaient éreinté. Point du tout au niveau de l'intrigue. Toujours pertinente chez les frangins mais bien au niveau du choix esthétique. Et j'avais pas envie de m'infliger ça avec "L'enfant". Mais ce film est un vrai petit joyau et Jérémie Rénier remarquable. Une symphonie à la rythmique parfaitement maîtrisée. Les temps sont étirés sur un fil d'où ils ne basculent jamais du côté de l'ennui. Que ce soit dans la durée des plans que dans celle de la progression dramatique. L'insoutenable légèreté du héros est passée au scalpel des réalisateurs avec on dirait davantage d'authenticité que ne le ferait un documentariste. C'est à la fois lourd et léger, tendre et agaçant. Et bien sûr si le héros finira par accoucher de sa conscience dans la douleur, laissant la morale sauve, le regard n'est jamais jugeant.

    Et hier soir j'ai plongé encore plus loin vers les débuts du septième art avec le monstre des monstres. Je pense évidemment à Charlie Chaplin. J'avais vu "Les feux de la rampe" quand j'étais bien plus petit et n'en gardais qu'un souvenir très vague. Me souvenais d'une histoire d'amour, d'un mec qui se cassait la pipe dans la grosse caisse de l'orchestre et que la fin m'avait beaucoup fait pleurer. Il y avait bien tout ça mais aussi une fine pellicule de déception. Au début. Le doublage est bien entendu insupportable. Surtout les voix féminines. Mais ça ce n'est point la faute du Chaplin. Il n'a d'ailleurs commis aucune faute. Il interroge juste la gloire et la vieillesse, la vieillesse et la gloire. Il passe avec brio du muet au parlant car les discours un peu faits du début, ces hymnes à la vie et au courage se heurtent très vite à la difficile réalité de leur application. Ce qui sauve l'ensemble. Bien sûr je ne critique point Chaplin. Tout simplement parce que ce n'est pas possible. Il a tout inventé. Mais c'est le regard d'un spectateur blasé qui a plus de cinquante ans de cinéma dans le cortex. Ce qui ne m'a pas empêché de pleurer à la fin. Je n'ai toujours pas vu de clown plus touchant.

    Après Fanfarlo, c'est au tour de Bombay Bicycle Club d'ouvrir un cinémoi. De ces géniaux Tommy à peine pubères qui vous pondent des ritournelles à l'accroche infaillible. Ce dernier, je l'écoutais avant d'aller jouer le Cléante du Tartuffe. Je tentais d'y puiser la joie et la légèreté qu'il me fallait.

    Pour Oedipe je sais toujours pas quoi écouter...


    votre commentaire
  • L'Ablate.

    J'en ai déjà parlé auparavant sur ce blog, notamment en initiant la série des "Demain avant de naître". Vital Bender y avait apporté la contribution de certains de ses poèmes. Nous étions plutôt nombreux, pas toujours les mêmes à participer à ce journal littéraire.
    Et avec certains plus téméraires nous avions aussi créé des soirées. Au début toutes simples où seulement nous lisions les textes des autres ou les nôtres. Puis ça s'était élaboré pour aboutir à des espèces de performances théâtrales où se mêlaient les délires de chacun dans un ensemble plus ou moins cohérent. Il doit en rester une trace vidéo quelque part. Je serais bien curieux de voir ça.
    Tout ceci pour en venir à la piécette qui suit, écrite tout spécialement pour une de ces soirées dont le thème rassembleur était le phonème "b a l". Elle est un peu longue pour un post mais ça vous aidera à patienter. Je sais bien que sans moi vous êtes démunis et la dernière ligne droite d'Oedipe risque de bien m'occuper ces prochains jours.


    Le grand prêtre
    Voilà mes frères, l'heure décisive du rituel suprême a sonné. Baal Zebub, que son nom soit magnifié, a affrété ses mouches à terre. Le moment tant attendu, mes fils, est à nos portes. Levez les yeux et glorifiez ce céleste instant où le produit du grand fornicateur sera enfin inséminé dans sa terre porteuse. Toutes les conditions sont réunies mes enfants, et on m'a signalé à l'instant que le colis était livré. Qu'on l'apprête donc pour l'ultime sacrifice ; que le ferment de son sang soit mêlé à la glaise matricielle et qu'ils deviennent tous deux le ciment bâtisseur de la grande destruction. (il se calme) Amenez maintenant la vierge et ôtez-lui son bâillon. Qu'on entende la délectable et sacrée supplique qui doit précéder toute mise à mort.

    Le travesti reste immobile et silencieux

    Le grand prêtre
    Ô vierge sublime ! Nous allons procéder à ton exécution et cela en passant par quatre chemins. Crie donc... griffe... hurle ! Car tu auras le privilège de voir passer ta mort.

    il observe interloqué le travesti qui demeure toujours aussi silencieux et immobile

    Le grand prêtre
    Amenez les instruments et récoltez la souffrance. Que les larmes se fondent au sang et les supplications à la douleur !

    Les bourreaux commencent lentement à démembrer le travesti qui commence à parler

    Le travesti
    J'aimerais ce soir qu'on me dise pourquoi il est des choses qu'il ne faut pas dire ou d'autres qu'on ne doit pas faire. J'aimerais aussi qu'on m'explique les critères qui permettent de classer ces choses dans les catégories du permis ou du déconseillé, de l'induit ou de l'interdit. Je voudrais comprendre ce soir pourquoi je me trouve ici où pour des raisons obscures on voudrait que je me plaigne, que je gémisse et demande grâce.

    Le grand prêtre
    Mais elle est folle !

    Le travesti
    Ca ne sera qu'une fois de plus où l'on se dérobe grossièrement à mes questions... auxquelles je me suis sans doute habitué d'ailleurs. Elles arrivent comme ça un jour on ne sait trop comment et on se gausse d'une conscience, on savoure une liberté, on arbore une supériorité, puis le temps passe et avale tout. (on lui ôte le premier bras) Mais c'est pour ça qu'on vieillit, pour ça que la peau se fripe, que les cernes noircissent et que les seins tombent. A cause de ces questions qui demeurent malgré l'inertie des automatismes, malgré les gestes qu'on répète ou ces vérités qu'on s'invente et auxquelles on croit coûte que coûte. Alors que là, tout au fond, à l'apesanteur de ce maudit instant de lucidité, la question persiste sans réponse. On évite d'y penser mais on sait ; c'est intime et indélébile.

    on lui a déjà arraché les deux bras

    Le grand prêtre
    Ta gueule ! Ta gueule ! Ta gueule ! Ta gueule !... Tu vas supplier oui !?! (il lui crache dessus et le rosse) comme pour lui-même : C'est pas possible qu'il n'ait pas mal ! Putain il va tout foutre en l'air ! au travesti : C'est bon t'as fini ?! à part : Au moins c'est déjà ça. (il arpente la scène puis décidé) Tranchez-lui le reste ! Il finira bien par crier... de toute façon il est trop tard.

    Le travesti
    Mais le plus drôle, c'est que malgré tout ça ; au lieu de se sentir libérés définitivement et inéluctablement, on s'acharne sans aucune réponse puisqu'elles n'ont pas de raison... on s'acharne à vouloir croire que c'est important, que NOUS sommes importants et qu'il faut se protéger, s'épargner émotions et douleurs, faire sa place, briller, se déhancher lubriquement aux yeux de cette digne broyeuse d'âmes, de cette institution du respectable. (on lui tranche la première jambe)
    Ou alors on s'insurge contre elle, contre le fait qu'elle nous étouffe, qu'elle ne nous permet pas de paraître le torse bombé ou les poches pleines, car on tient à son petit rôle et qu'importe les moyens (il imite le grand prêtre) "Le grand moment est arrivé" Mais quel moment pauvres cons !? Le moment de la réponse ?

    le grand prêtre s'affale et pleure sur sa cérémonie qui bat de l'aile mais seulement sur sa cérémonie

    Vous ne mesurez même pas la taille de votre bêtise. Vous êtes la victoire du monde dont vous souhaitez la fin, vous êtes son apothéose, son couronnement par l'absurde. Et vous voudriez que j'aie mal, que je souffre et que je gémisse alors que vous fûtes ma révélation, ma frontière tant attendue, cette limite où on bascule. (on lui coupe la deuxième jambe et il tombe). Léger, si léger tout à coup, je vole et vous n'en savez rien ; vous n'en saurez jamais rien de cette baffe qu'on reçoit tout à coup et qui n'a tellement aucune nécessité qu'elle en devient indispensable...
    Plus de place, plus de déhanchement, plus que l'essentiel... tellement vivant, tellement là, et pour l'éternité.
    Je vous aime couillons ! il pleure doucement, les yeux remplis d'amour
    Je vous aime.

    (A la mémoire d'Olivier qui jouait le rôle du travesti et qu'un anévrisme cérébral a depuis fauché à l'aube de sa renaissance.)


    votre commentaire
  • S'il y a une perfection dans la recherche de sa vérité, il faut pourtant s'attendre à ce que la vérité ne soit point parfaite.


    votre commentaire
  • Je comptais décrire mon travail sur Oedipe puisque c'est pour cette raison que je me trouvais là.

    En fait ce n'est point tout à fait exact ; je ne comptais rien du tout. Surtout pas m'imposer ce genre d'exercice. Je n'y avais même pas pensé à vrai dire. Et quand l'envie d'écrire se fit sentir j'ai imaginé que ça se rattachait à ma recherche mais je me suis vite rendu compte que je n'avais aucune envie de parler d'Oedipe.
    D'ailleurs j'aurais été bien incapable de partager les états qui m'ont traversé. Et de tous les ingrédients de cette soupe oedipienne, je ne sais pas lesquels seront identifiables au final. Il y aura forcément un pourcentage de chacun des éléments chaque soir mais peut-être aussi dans des proportions différentes. Il y aura aussi ce qui précéda ce séjour et qui a déjà pris corps. Il y aura encore ce qui s'ajoutera d'ici le 29 octobre.
    Quel privilège de pouvoir tremper son personnage à tant de bains différents. D'avoir ce temps-là. Bien qu'il le mérite. Il nous accompagne depuis si longtemps qu'il constitue notre mémoire collective. Y penser m'excite et m'effraie. Il me paraît y avoir encore tant à faire, tant à être.
    Bref, j'ai rapidement réalisé que je ne voulais pas livrer le processus d'un résultat qui m'échappe. Et ce au quotidien : Je vise un objectif et trouve une direction. A l'énigme de cette Sphinx-là la réponse est une nouvelle énigme, non moins pertinente que la précédente.
    Oedipe devra être appréhendé dans sa totalité et non au travers des parties qui le composent. Finalement c'est là la possible magie du théâtre.

    La tenue de ce journal m'a amusé. Oedipe Horn n'est peut-être pas terminé. J'espère pouvoir le prolonger de quelques excursions sporadiques. Il y a toujours le Mt-Bonvin et le Tothorn qu'il me faut réaliser avant la fin de l'année... même si je sais qu'il sera difficile de trouver des plages tant cette année est professionnellement riche.
    Ce journal me rappelle un autre que je m'étais proposé de tenir l'an passé. A peu près à la même période j'avais suivi un cours de méditation Vipassana de dix jours. Je suis curieux de voir ce qu'il en reste rétrospectivement. Ca sera "LaViePasseAnna". Qui par une coïncidence malhonnête est le prénom de ma mère.


    votre commentaire
  • Mon amour...
    (C'est peut-être la première fois qu'un poème commence par ces mots : mon amour...
    c'est peut-être aussi la dernière...)
    Il est encore trop tôt.
    Les mots sont bien trop friables.
    Les mots sont des débris d'écorces
    flottant à la surface de nos désirs.
    A la surface de nos sentiments refoulés.
    Ce paysage a la fièvre.
    Je marche à l'aveuglette.
    Mon amour... Je marche... Où es-tu ?
    Il se peut que tu ne te souviennes de moi qu'à travers cette apparence de ruines de formes de profils sans relief.
    Il se peut que je ne me souvienne de toi qu'à travers l'oscillation de ton éloignement.
    Il se peut...
    Mais la parole n'est qu'une reproduction d'organes à vif.
    Un leurre tendre...
    La parole nous cloue à des poteaux de circonstances.
    Et tu es là vulnérable éternelle.
    J'ai tracé autour de toi ce cercle à l'intérieur duquel je ne puis pénétrer qu'au mépris de ton chant et de ta raison.
    Au mépris de ta liberté.
    Mon amour...
    Mais j'ai déjà trop parlé.
    Retour à la parole unie.
    La parole avant sa dispersion.
    Qui est aussi ce chant.
    Mais saison fugace.
    Ma liberté.
    Mon amour...
    Te dire : tu es déjà si loin.
    Ou l'écrire seulement...
    Entre deux sanglots.
    Entre deux cris de joie.
    Ou de stupeur.
    Entre deux piétinements fous.
    Sous la lune ronde.
    Au fond d'un puits tari.
    Sous le soleil au zénith...
    Au fond des choses mortes.
    Au fond des cassures.
    A l'intersection de tous les rayons éclatés.

    Vital Bender


    votre commentaire