• Les deuils irrémédiables

    Il apparaît que des trois deuils que j'ai décomptés, ce soit le seul qui non seulement rapporte à soi face à soi mais aussi et surtout, à soi face à l'autre dimension.
    Je la singularise car il me semble que ce soit la seule dimension majeure qui nous concerne. Il y en a des mineures comme l'imagination, le rêve, le subconscient, l'inconscient... mais qui sont toutes liées à notre existence. Alors que cette dimension majeure touche à cette absence qui accompagne notre présence dès notre apparition au monde. Le revers de la médaille. La mort au-delà de tout ce qu'on y rattache - qui bien souvent est davantage lié aux dimensions mineures qu'à la seule nécessaire - , simple et nue, dans toute sa splendeur et sa noirceur, qui nous hante et que nous nions frénétiquement depuis notre origine.

    Ainsi il se trouve que le décès de quelqu'un qui nous a été suffisamment proche pour que son départ de notre vie soit notable nous confronte à la mort, à la fin du corps, à son expulsion du je(u), à la potentielle cessation du moi. Car bien sûr, si notre société occidentale s'est très bien organisée pour déplacer les mourants concrets vers sa marge, apparentant - entre autres par le gavage télévisuel - une mort bien qu'omniprésente à une abstraction, celle-ci n'en est pas moins réelle. Et l'impact de cette réalité dans un cadre si bien poli prend aujourd'hui sa vraie "dimension". Une dimension que nous pouvons pénétrer à la proportion du lien que nous entretenions avec le défunt. Donc évidemment la force de pénétration est essentiellement tributaire de la capacité d'empathie du sujet.

    Cette personne que nous aimions et qui est passée de la palpitation à la putréfaction, de l'être au non-être nous force à appréhender la mort, à nous y baigner, à la méditer, sans quoi il est impossible de faire vivre à l'intérieur ce qui vivait à l'extérieur. Nous devons tendre l'oreille au silence. Nous devons ouvrir la porte au vide. Pour que ceux-ci se substituent au regret et au manque, à la souffrance et à la mémoire. Par un échange alchimique, l'amour que nous avons pu porter à un défunt nous offre l'accès à la mort et réciproquement celle-ci nous rapproche de l'amour, car il le nettoie et le purifie, le lave au fur et à mesure de ses caractérisitiques humaines pour laisser sa vérité inconditionnelle apparaître.

    Ces morts qui peuplent nos ombres sont autant de lumières. Ils s'amalgament peu à peu à la mort elle-même et nous l'apprivoisent.
    Par ce fantastique paradoxe ils - elle et eux - nous accompagnent sur le chemin de la vie et lui donnent à la fois relief, légèreté et relativité. Tout comme une mort refusée porte leurs contraires : peur, jugement et division.


  • Commentaires

    1
    catherine
    Mercredi 24 Février 2010 à 09:41
    dualité remèdiable
    ...je pense que l'idée de la mort accompagne tout ce que je fais à longueur de journée pour exister. La mort d'un proche ou une catastrophe naturelle à grande échelle, ne fait que me donner la possibilité de l'amener à ma conscience. La peur est inévitable si je m'identifie à ce corps mortel, incontrôlable,et putréfiable...Si je suis prête à échanger la peur, le jugement et la dualité qui m'apportent le pouvoir notamment sur l'autre, contre la paix, l'acceptation et l'unité, je dois chercher ailleurs que dans la forme. La mythologie grecque déjà nous indique un chemin pour comprendre la symbolique de la pensée, représentée par des dieux; sinon avec un autre language qui raconte la même histoire: le terrier de Kafka...
    2
    Mercredi 24 Février 2010 à 20:01
    C'est juste
    Et le plus difficile est d'être prêt justement. Le leurre dans lequel nous baignons est aussi actif qu'il est superficiel. ce qui se trouve sous cette première couche est de cette dimension qui n'est pas de l'apparence. Tu m'as donné envie de lire le terrier. Me réjouis.
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