• Dostoïevski : Le joueur

    Sans doute faut-il un rapprochement métamorphique entre soi et ses vices. Doit-il exister à l'origine de leur rencontre ou alors sont-ce ces derniers qui opèrent l'alchimie nécessaire à l'apparition de la dépendance ? Quoi qu'il en soit il en existe un entre la petite boule qui sautille sur un jeu de roulette, malmenée d'obstacles en obstacles avant de trouver sa place dans le créneau du gain ou des pertes, et Alexeï Ivanovitch, le héros du roman de son alter ego.

    Alexeï est précepteur pour un général russe au bord de la faillite qui s'est retiré à Roulettenbourg, ville d'eaux imaginaire sise quelque part en Allemagne, où viennent s'échouer les fortunes désoeuvrées et tout ce qui en vit et profite. Il est épris de Pauline Alexandrovna qui lui paraît inaccessible tant leurs mondes sont éloignés et qui plus est semble éprise d'un français tape-à l'oeil aux intentions aussi intéressées que ses références sont obscures. Tout le monde attend avec impatience un télégramme salvateur qui porterait la nouvelle du décès de la tante fortunée du général. Mais au lieu de celui-ci c'est elle en personne qui apparaîtra pour un revirement inattendu d'une intrigue enlisée dès les premières lignes.

    En effet tout ne tient que par le caractère romantique d'Alexeï dont nous lisons une espèce de journal. Car en soi, et c'est en cela que c'est fascinant, rien ne se passe. Tout n'est que conjecture magnifiée par l'excessivité fiévreuse du héros baladé par ses inquiétudes comme cette petite boule à laquelle il sera bientôt enchaîné. Excessivité russe ? C'est en tout cas ce que Dostoïevski voudrait nous faire croire et qu'il défend fièrement l'opposant à tout bout de champ aux mentalités française et allemande qu'il fustige. Seule l'anglaise trouve un semblant de grâce à ses yeux.

    Et ce qui est fou dans ce roman en plus des résonances autobiographiques, tant sur le plan de la dépendance que sur celui de Pauline Alexandrovna, c'est encore cette situation dans laquelle se trouvait Dostoïevski au moment de la rédaction du Joueur. Forcément retrouvé dans la position du joueur ; impatient, suant, mais avec ce picotement d'adrénaline et cette furieuse sensation d'être vivant, maître du monde ; devant l'ultimatum que lui avait fixé son éditeur qui se rendait propriétaire de tous ses droits s'il ne livrait pas un roman aux pages définies dans un délai que Fédor avait laissé devenir inatteignable sans l'aide de la sténo qui devint sa femme. Ainsi sur ce coup-là Dostoïevski avait gagné sur tous les plans : il a fini son roman à temps, roman en plus excellent, il a rencontré sa future épouse, épouse qui lui amènera la stabilité nécessaire à l'abandon définitif du jeu. Et ironie du sort, son gain le plus fameux ne doit rien au hasard.

     


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