• deuil

    Il y a peu cette présence ancrée dans le présent.
    Un glissement. Un souffle. Une poussière. Un rien. Un infime grippage et tout bascule. Une routine à laquelle la faille n'était pas envisagée est interrompue. D'un jour à un lendemain. Une unique minute pour que ce présent s'inscrive dans le passé. Définitivement.

    La mémoire est composée des échantillons de tous nos deuils.

    Il y a les irrémédiables. Ceux aux souvenirs sans suite. Et qui pourtant nous habitent.
    Dans une dimension sans forme les êtres disparus nous hantent de la transformation dont ils furent la cause. Nous ne sommes et ne serons plus jamais ceux qu'ils ont connus. D'une présence uniquement physique ils se sont dilués dans le continuum intemporel. De la lumière, ils ont glissé dans l'ombre. Et le royaume des ombres n'est autre que la nôtre. Ils sont passés d'une existence épisodique et intense à un accompagnement perpétuel et diffus.

    Il y a aussi les contrariants. Ceux qui ne sont pas dus à l'interruption brusque de la faucheuse mais dont la cause est l'éloignement volontaire ou regretté. Là aussi nous ne serons plus jamais les mêmes mais leur présence dans notre ombre est étrangère. Ils ne sont pas aussi accomodants que les irrémédiables puisqu'ils ne sont pas du royaume des ombres, ils continuent de vivre dans un ailleurs qui est encore de notre forme. L'insistance de leur présence n'est pas maléable. Il est impossible d'en faire des alliés et à notre mémoire s'oppose la leur, encore vivante, encore en transformation, et qui nous échappe.

    Il y a encore les indéfinis. Ceux qui naissent de leur irréalité ; qui ne viennent pas du passé, d'un vécu mais justement de leur inexistence ; qui n'ont pas d'autre consistance que celle d'un regret ou même pas. Juste d'un potentiel inachevé, d'une promesse, d'un possible mais qui n'a pas été et ne sera sans doute jamais. Ce deuil n'est pas seulement celui d'une audace avortée ou d'une occasion manquée. Il est celui de la vie, des choses qui se resserrent dans le présent et qui comme dans un sablier ne peuvent, dans le goulot rétréci de son mitan, passer que grain à grain.


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