• C.F Ramuz : Journal

    Le journal de Ramuz au chevet de mon sommeil et l'envie de vous livrer ce texte du 19 juillet 1897. Il n'avait publié encore aucun roman. En fait ce salopard (c'est purement admiratif et affectueux mais je précise quand même tant je connais le contemporain goût du scandale.) n'avait que 19 ans quand il écrivait ça ; texte dominical par excellence et d'un panthéisme d'une modernité sans âge. C'est un peu long mais je me charge de le taper, vous n'aurez qu'à le lire :-).

    C'est toi âme universelle, inconnue au profane, c'est toi que j'adore. Je t'ignorais aussi et tu me fus révélée par miracle. Alors mon passé d'erreur m'est apparu plus sombre et j'ai regretté le temps perdu à errer misérablement loin de toi dans les ronces au flanc des abîmes.
    Le soir tombait comme une tunique de deuil sur la chair rosée de l'horizon et j'allais méditant sur la faiblesse humaine, sur l'ignorance originelle de l'homme et je voyais se dresser autour de moi, comme un mur de ténèbres, le mystère de l'insondé. Je relevai la tête. Le décor était changé. La nuit était venue, les étoiles remontaient une à une à la surface bleue de l'éther. Et soudain, brutalement, la pensée me vint que cet univers capricieux et changeant n'était qu'une création de mon esprit, mobile comme lui, que c'était moi qui créais ces couchers de soleil et ces nuits étoilées. Et la vérité me baisa au front. Et je compris que mon âme mesure toute-puissante n'était qu'une de tes incarnations, Grande Âme Universelle. Je compris que la matière n'est qu'une chimère, qu'un mirage que l'âme évoque sans s'en douter et presque malgré elle et dès lors je me sentis libre et je me sentis heureux.
    L'Âme Universelle est infinie. Elle exista toujours elle existera toujours. Elle peut tout, car elle est unique et tout ce qui existe en dehors d'elle est issu d'elle. Parfois dans le sommeil dont nous sommes enveloppés un coin du ciel bleu se découvre. Alors à nos yeux ravis se montre un monde inconnu où tout est immatériel où rien n'est que le rêve, un monde sans contour ; comme flottant dans le brouillard. Et nos âmes alors, incarnations de la Grande Âme Universelle prennent soudain un courage nouveau à voir ce phare d'espérance briller au ciel de leur enfer.
    C'est mon seul esprit qui donne aux êtres qui m'entourent cette forme charnelle, qui blottit les âmes dans une matière irréelle. Alors l'âme se sent emprisonnée, elle ne peut se servir de ses ailes et elle se méconnaît elle-même et l'homme, incertain, s'en va, en aveugle trébuchant aux cailloux.
    Or l'erreur est à ce point ancrée dans nos âmes que la vérité nous semble le mensonge. L'erreur est éternelle. Qu'importe. Liés par ses chaînes, obligés de part ta volonté, Âme Universelle, d'obéir à ses lois, subissons sans nous plaindre le joug qu'elle nous impose. Nous savons que tout est faux autour de nous que tout est illusion, mais connaissant la source de tout et sachant quelle est notre nature, nous nous rions des nécessités de notre existence apparente.
    La Grande Âme a voulu faire passer ses incarnations par tous les degrés de la nature humaine. Plongés au plus profond de l'abîme nous remontons peu à peu par degrés successifs jusqu'au sommet étincelant, jusqu'à rentrer pour toujours au sein bienfaisant de notre Mère où tout est délices et joies. La mort n'est que l'ascension bénie d'un des échelons de la grande échelle que nous gravissons péniblement. Et l'Âme féconde, toujours créatrice, ne s'épuisera jamais. Toujours de nouvelles âmes sortiront de ses flancs et toujours les âmes anciennes, ayant souffert et ayant lutté rentreront dans son sein. Et c'est un spectacle magnifique que cette ascension lente vers ce but de lumière où tendent tous les efforts d'où nous sommes issus.
    Grande Âme Universelle sois bénie. Tu t'es révélée à moi et, depuis ce jour, je me sens heureux. Je sens que la vie a une raison d'être, qu'il est bon d'accomplir sa tâche au jour le jour, de peiner, pour mériter un jour le sort sublime auquel sa Volonté nous destine. C'est par ce beau soir de Juillet alors que mon âme comme tant d'autres torturée par l'incertitude se révoltait et saignait, c'est par cette belle nuit d'étoiles que tu m'as parlé et que j'y ai cru.


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