• On n'ira pas par quatre chemins : Division familiale est un des plus beaux chocs théâtraux de ces dernières années. Sur scène, le minimum. Une table, quelques chaises, un grand carré dessiné au sol par des néons. Espace ritualisé, ring ouvert où se déchirent les membres d'une famille endeuillée. Le père est mort. Suicide, apprendra-t-on. "Il faut parler, parler", scande la mère bientôt gagnée par la folie. "Il faut sortir tout ça." Dans un tourbillon déchaîné, la pièce fait valser ses éclats de noirceur : une souris écrasée, un shoot dans une veine, des oiseaux qui s'arrêtent de chanter... Bientôt la parole se déglingue à son tour. Elle devient rire ou hurlement, comme une oraison déchiquetée, où ne submergent que des bribes de phrases, paroles répétitives, dans un jeu de superpositions vertigineux. Division familiale sait aussi se faire tendre et pudique, comme un moment de silence hésitant. A la limite de la transgression, sublimée par une poésie très efficace, cette pièce doit aussi sa force à ses cinq comédiens qui se révèlent aussi troublants que percutants.

    Anne-Sylvie Sprenger


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  • Non, je vous rassure. La mienne va très bien. Surtout l'autre en fait si j'y pense. Parce que sinon pas toujours forcément. Enfin c'est à voir. Le tout c'est d'y réfléchir. Mais bien. Et ça c'est pas toujours simple. Parce que souvent y a un côté mais des fois aussi y en a un autre. Et le bon allez savoir pourquoi des fois est au milieu. Et là là...

    Enfin comme je dis, c'est à voir parce que dans le fond je me rends compte que c'est compliqué.

    D'ailleurs je préfère laisser la parole à l'autre, Julien Mages, qui donne à entendre son texte à lui par Irma Riser-Zogai, Marika Dreistadt, Frank Arnaudon, Frank Michaux et votre serviteur ;

    A l'arsenic Lausanne Les mardi 7 et mercredi 8 avril puis du mardi 14 au dimanche 19 avril
    MA/JE : 19h, ME/VE/SA : 20h30 et DI 18h

    Pour davantage de précisions que mon esprit lacunaire n'autorise faites un tour sur le site de l'arsenic

    Et si vous avez l'amour du risque venez directement. A vos risques et périls bien évidemment.

    Moi en tout cas je serai là. Sauf si peut-être qu'en fait la mienne va pas si bien. En fait.

    ps: Sinon y aura encore

    Le Pommier - Neuchâtel les 22 et 23 avril
    Benno Besson - Yverdon du 28 au 30 avril
    Petit-Théâtre - Sion les 8 et 9 mai
    Espace Guinguette - Vevey les 20 et 21 mai


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  • L'eau monte comme le corps d'une femme qui va jouir.
    Un autre voyageur perdu se souvient.
    Il a besoin de se vider.
    Il se vide.
    Par gerbes.
    Puis par saccades.
    Lève les yeux au ciel pour s'accrocher à ce morceau de lune
    ce croissant sec...
    La nuit tout autour comme une tasse de café renversé.
    L'eau monte.
    Pourquoi ne lui a-t-elle pas écrit ?
    Pourquoi les grains qui pourrissent ?
    Les grenades qui explosent ?
    C'est une autre guerre qui éclate.
    Il n'y aura pas de survivants
    (la terre appartient à ceux qui ont soif)
    plus de destination
    plus de source.
    "Corps gracieux
    pourquoi m'as-tu abandonné ?"
    De quel corps s'agit-il ?
    Et si elle lui avait écrit ?
    Et si cette chambre d'hôtel était une chambre mortuaire ?
    L'eau continue de monter
    clapote aux pieds du voyageur qui allume une cigarette en maudissant ce geste ainsi que tous ceux qu'il a accomplis durant sa vie sa vie d'automate sans tronc
    car cet homme n'a qu'une tête deux pieds deux mains reliés entre eux par du fil de fer
    et la femme qu'il aime et qui vient de lui apparaître à l'autre bout de la terre ne lui a pas écrit.

    Vital Bender


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  • Dans la tête du promeneur du promeneur égaré qui longe une écluse morte sous la pluie
    une heure vient de sonner
    l'heure de tous les crimes de tous les abandons.
    Il se baisse saisit une pierre et la jette dans l'eau noire
    répète le même geste jusqu'à ce que la tête lui tourne
    et se repère :
    un halo blafard
    un arbre isolé
    le martèlement d'une idée fixe en bordure de sa boîte crânienne
    les mots qu'il a prononcés hier et qu'il regrette déjà
    ce qu'il a éprouvé en caressant pour la première fois le corps moite d'une putain.
    L'eau du canal
    la pluie
    la glu
    les glaires
    (il faut bien vivre...)
    son cerveau avec son éternelle tumeur en devenir
    qui finira bien par s'étendre au monde entier.
    Le promeneur s'esclaffe
    et tousse
    crache dans un buisson.
    La pluie a effacé toute trace de son rêve sur le canal
    au-delà duquel le paysage se perd dans un chaos d'ombres laiteuses
    et de faciès de cendre
    dont le sien
    qu'il entrevoit par intermittence
    entre des formes de nez et de bouches
    d'yeux dissociés du reste du visage
    et de la pluie
    qui s'arrête là
    de l'autre côté du canal
    qui ne court pas plus loin
    plus loin c'est déjà son rêve
    c'est déjà son crime
    dont une muraille liquide lui renvoie de temps à autre un reflet.
    Le promeneur s'agite
    - qu'a-t-il ? -
    il voudrait prier
    quitte la berge
    - il devient fou -
    dévale le talus jusqu'au canal
    se jette à l'eau
    pour rejoindre son rêve
    une bouche un oeil
    une narine
    à demi effacée
    un trou noir :
    s'y engouffre avec une détermination qui le surprend
    se promène à l'intérieur de son crâne
    ressort par l'autre narine...
    Il a vieilli.
    Sa femme est morte d'un cancer généralisé (croit-il) :
    caresse une dernière fois son corps sous la terre
    son corps de sirène ou de squale
    son corps laineux.
    Jette une pierre dans l'onde invisible mais la pierre se dissout entre ses doigts (regrets et fumée)...

    Vital Bender


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  • Un homme court le long d'une berge ou sur un pont
    sur des débris de fleurs ou sur des gravats
    sur des tessons de bouteilles
    un homme piétine un autre homme qui le regarde fixement sans sourciller
    et sans comprendre :
    il tient dans une main un pinceau
    dans l'autre une éponge humide
    qu'il se met à sucer
    puis il suce le pinceau
    respirant avec peine
    (le poids d'un homme
    l'empreinte de ses bottes
    sur sa poitrine...)
    il ne lui en veut pas
    il voudrait simplement peindre sur son éponge un homme piétinant un autre homme sur un tapis de fleurs ou sur un pont (qui finira bien par s'écrouler)
    il n'a pas peur (pas encore)
    L'autre continue de lui rebondir sur la figure
    sur le ventre
    sur les parties génitales
    (deux omelettes baveuses sur une assiette)
    continue de ne rien voir
    de ne rien sentir
    finit par éjaculer dans la bouche de l'homme
    au moment où un oiseau (une araignée un rayon) se poste sur son membre (froissement de papier).
    Le pont s'écroule.
    L'oiseau s'envole.
    La lumière est blanche comme la face interne d'un coquelicot (ou d'un noyé).
    Le pré voisin est tout couvert d'hosties recrachées.
    Une charrette traverse le ciel avec un sifflement caverneux.
    Qui a mutilé ce corps d'enfant de Dieu sur la place publique ?
    Quel spectre a surgi joyeux du placard
    où le poète rangeait son athanor et ses raisons
    de vivre et ses réalités sous-jacentes
    à l'abri de la poussière des jours et des inhibitions ?
    Le poète qui ne croit plus à son existence factice sous les feuilles...
    Mais la comédie a assez duré.
    L'azur rend fou:
    La poésie n'est qu'une projection d'atomes pilés dans le brouillard
    dans l'immense dans l'irréversible
    dysfonctionnement des artères
    etc...

    Vital Bender


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