• Elle avait débarqué dans le bureau avec l'aplomb que donne une conviction. Et sans hésitation à S. "Faut voir la pièce qu'on joue à La Comédie." Et hop de déposer le fascicule de présentation devant ses yeux.

    C'est vrai que l'aplomb d'un être conquis vaut tous les commentaires et, dispositions prises, je décidai de m'y rendre. J'ai toujours une vive curiosité, quand un spectacle plaît, d'essayer d'en déterminer les raisons. De plus les goûts sont très révélateurs d'une personne. Non que cette personne, que d'ailleurs je ne connais pas, ait pu m'intéresser en soi mais les goûts du milieu que je lui prête m'intriguent. Comme ceux de tous les milieux pour être sincère. Il est fascinant de voir ce qui déplace les foules. C'est toujours un bon indicateur des sociétés. Et en voyant ce qui explose le box office aujourd'hui c'est somme toute assez inquiétant non ? (Même si il y a parfois de bonnes surprises.) Tout comme quand on réalise quel candidat récolte la majorité des suffrages... Ca ne surprend pas vraiment mais ça effraie sensiblement. (Même si ça pourrait être pire me direz-vous.)

    Position prise dans une salle honorablement remplie d'un public majoritairement supérieur à la quarantaine. (Journée adverbes on dirait.) Bon, nous sommes à La Comédie qui reste quand même le pôle de l'institution théâtrale genevoise. 

    Et là, rebelotte ! Tout comme à Bord de mer, ce terrible coup de barre qui m'assaille en traître. Et pas une seule goutte de "Rouge de terre".

    La crainte de ne plus résister à aucune pièce, de m'endormir à chaque fois à peine le cul posé, d'avoir le syndrome bedonnant, la mononucléose, l'hypocondrie... Que sais-je... Quand tout à coup en divers points de la salle ces cris du public : "Plus fort !" "On n'entend rien !" "Plus fort !" à quoi le comédien de répondre un peu plus tard par sa réplique écrite : "Schhht pas trop fort !" : Ils fomentaient une sédition. Ca m'a beaucoup fait rire et m'a mis de bonne humeur le temps nécessaire pour que l'histoire m'embarque.

    Dispositif impressionnant quand on a de l'argent : treize comédiens, et une cinquantaine de personnes dans le staff technique ! Et c'est vrai que ça donne. Soutien sonore propre et vidéos bien choisies. Tantôt projetées sur le décor, tantôt sur un tulle baissé en avant scène et qui peut constituer de nouveau décor. Ca a de l'effet mais sans que ça soit de l'effet. Y a des moyens mais ils restent au service de l'histoire. Belles inventions de mise en scène et d'éclairage. Je ne me suis pas lassé alors que trop de démonstration peut avoir le propre de m'agacer. C'était bien pesé, réglé comme du papier à musique et en plus bien écrit.

    Je craignais un peu un texte trop théorique ce qui a souvent été le cas dans le théâtre militant, davantage au service des arguments que des émotions. Ernst Toller ne s'est pas heurté à cet écueil et faites seulement un tour chez lui, c'est un personnage paradoxal et fascinant. En tout cas ça m'a donné envie de le découvrir. D'autant que le metteur en scène a mêlé à la pièce d'autres textes du monsieur.

    Donc, même si je pense que ce spectacle peut toucher un public plus large que celui présent, mes goûts rentrent dans ceux de cette personne et si je l'associe à son milieu supposé, je devrais être un intello... Ouais... On va y réfléchir.


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  • Elle était seule sur scène.

    Salle comble. Sièges étroits. Chaleur étouffée. L'ami Mathieu à ma droite, sur son strapontin et le mal aux fesses.

    Elle était seule avec cette mélopée violonée et ces mots de Véronique Olmi qui coulaient, qui roulaient comme des vagues. Qui parlaient de crachin, de pluie, de froid. Qui en parlaient toujours plus loin...

    ...Paupières qui tombent. Tête qui vacille sur un cou devenu lâche. A la manière de ces méduses échouées et léchées de vaguelettes. Puis une vague plus grosse, ma tête qui roule une fois pour toutes. Coeur qui bat. Incohérence des images de la demi veille laissant enfin leur place à celles contées en face, sous les projecteurs. Poids de cet excellent "Rouge de terre" s'étant fait plus léger. Fatigue s'étant laissée récupérer. Je suis là Magali Pinglaut. Je t'écoute.

    Elle était seule, posée sur ces planches inégales. Les pieds de biais avec son reflet sur le mur à jardin et des évanescences bleutées sur le fond de scène. Sobre. Beau.

    Elle était seule avec nous en face. Nous racontait son voyage vers la mer. Cette mer qu'elle voulait offrir à ses deux petits gars. Cette contradiction entre le passage des instants rêvés aux instants vécus.

    Puis soudain, sans crier gare, des tréfonds d'une âme dépouillée par le sommeil : les larmes. Des deux yeux, avec ses hoquets qu'on s'évertue à taire, ses reniflements que l'on contient. Les larmes. Jusqu'à la fin. Jusqu'au noir. Jusqu'au silence. Silence qui dure. Mais qu'on voudrait éternel. Qu'on ne voudrait pas voir rompre. Comme le plus sincère des hommages. Comme la quintessence de tous les applaudissements. Mais c'est bien connu, un public c'est poli et convenu. Alors les mains frappent. Longtemps.

    Je ne vais pas en dire plus. Il ne faut pas en dire plus. Il faut le voir. Ou l'entendre. Ou le lire. Car ce texte n'a pas été écrit pour le théâtre. Ce qui le rend un peu littéraire. Et ce qui n'est pas pour me déplaire parce que les mots, j'aime. 

    Puis Mathieu et moi avons retrouvé un peu de ce "Rouge de terre" là-dessous, dans le bar du théâtre, dans le ventre du Poche... quand elle est arrivée. Comédienne.

    Elle était seule avec son sourire partout. Elle attendait des amis qui devaient la rejoindre. Venus de loin.

    Elle était seule avec son verre de blanc, son blanc de ciel, et elle a parlé de Bruxelles, de politique, de ces trucs qu'on dit quand on doit dire des choses. Puis ils sont venus. Puis ils sont partis.

    C'est un peu après qu'il a surgi. Livide et les lèvres serrées. Furieux et la menace ardente. Il avait surpris des propos qu'il avait mal interprétés et jugés irrévérencieux. Prétextant son statut de technicien du spectacle que nous venions de voir et auréolé de machisme, il nous accusa d'ivresse (ce que nous ne pûmes contester) et nous enjoignit au départ. Le barman (ainsi qu'il se disait lui-même, et fort sympathique d'ailleurs) n'y comprit rien. Et nous pas davantage. Après force palabre l'autre s'est excusé. Mais sans y croire. Simplement parce qu'il était minoritaire.

    En tout cas je vous le dis : tant de paranoïaque susceptibilité, ça fait peur. Et mine de rien, ça vous griffe une bonne soirée.


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  • de Bertolt Brecht par Omar Porras au Forum Meyrin jusqu'au 29 avril 2007 puis du 29 mai au 3 juin 2007 à Vidy-Lausanne. Puis encore en tournée de par le monde.

    Parce qu'il a imposé son style le Porras depuis qu'il a débarqué de son Amérique du Sud abandonnant carrière sportive et militaire pour tenter sa chance au théâtre. Il a rendu visite à Grotowsky pour trouver l'expérience suffisante au bout de trois mois. Puis il a "gagné" sa vie à Paris puis à Genève avec des interventions de rue avec ou sans marionnettes et a créé à Genève avec quelques comédiens le Teatro Malandro dans le début des années nonante. Est-ce de ses vies précédentes qu'il a hérité et de l'instinct de meneur et de l'endurance ? Le fait est que c'est surtout ses nom et prénom qu'il a cherché à imposer. Et qu'il a réussi à imposer. Au diable les mécontents.

    Quoi qu'il en soit, on n'en arrive sans doute pas là sans casser d'oeufs et il faut lui laisser le mérite de sa patte. A nulle autre pareille à ce que j'en ai pu voir. (Bon il est vrai que je n'ai pas vu grand chose.) En tout cas je lui dois de m'être lancé sur la voie de la scène. C'était en voyant "La visite de la vieille dame" de Dürrenmatt que le feu a pris.

    Maintenant je ne sais pas si c'est parce que j'ai changé ou parce que ses spectacles se sont appauvris en s'enrichissant que je ne leur trouve plus cette magie des débuts. Au départ il me semblait qu'il n'y avait que l'énergie, une formidable énergie et le travail acharné et pointilleux. Avec déjà des masques magnifiques (souvent dessinés par son frère) et des costumes grandioses (Ils ont largement contribué au style Porras). Maintenant il y a toujours de l'énergie, du travail acharné et millimétré et mille détails esthétiques et scénographiques mais plus cette magie... Le plaisir du jeu ? L'envie d'y croire des acteurs (pourtant excellents) ? Un esprit ? Je ne sais...

    Le propos me paraît se noyer dans le surplus. Surplus de mouvements, d'effets, de tape à l'oeil. L'essentiel me paraît ankylosé sous une couche d'artifice. Le fast food du théâtre m'avait dit Maximilien Urfer (cf. liens). C'est peut-être ça... en tout cas je suis resté spectateur. Pourtant aucune critique à formuler sur le jeu, les décors, la scéno. Au contraire : c'est tout très beau... techniquement.

    Loin de moi l'idée de descendre ce spectacle. Il y a bien trop de travail pour que ça soit mauvais. C'est bon et même plus que ça et je trouve que c'est une esthétique à voir absolument une fois dans sa vie. Mais je crois qu'il faudrait chercher le moyen de lui rajouter davantage de verticalité.


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  • Ca sera jusqu'à la fin du mois à la laiterie du Bourg à Martigny-Bourg. Pièce d'Arthur Miller. Davantage connu en Europe pour avoir épousé Marilyn Monroe que pour ses activités dramaturgiques. A ne pas confondre avec l'Henri Miller des Sexus & Co. Pourtant c'était une star au pays des stars. Ses pièces sont majoritairement des drames comme celle dont je vais parler. Jouée par la troupe Atmosphère. Troupe amateure de bonne facture. Enfin c'est ce qu'on dit. De toute façon je ne suis pas objectif. Avec elle, j'ai mis en scène "Minuit chrétien" de Tilly l'an passé et avais bien failli mettre en scène l'Arthur Miller. ça ne s'est pas fait faute d'une distribution adéquate. Ce qui m'avait valu maints ennuis. Ai donc été satisfait de constater que sur la question les principes de leur metteu étaient similaires.

    La pièce est bien. Avais eu du plaisir à la lire. Toute une série d'images s'étaient spontanément présentées quant à une éventuelle mise en scène. Inutile de dire (mais remarquez que je le dis quand même) que je ne les ai pas retrouvées hier soir. Ce qui souligne une fois de plus à quel point je ne suis pas objectif. Mais ça n'a rien a voir avec le fait que je me sois ennuyé. Car je me suis ennuyé.

    Ils ont sélectionné le quadrifrontal. L'espace de jeu étant une espèce de ring représentant un jardin semi dévasté. L'effet est beau et le travail des décorateurs bien réalisé. Toute la salle a été recouverte de taps noirs, ce qui ajoute une certaine neutralité oppressante. Seulement, je n'ai pas trouvé le quadrifrontal très bien assumé. Je ne pense pas que ça soit de la faute des acteurs. Le style d'écriture ne se prête pas à un jeu très mobile et le quadrifrontal l'exigerait plutôt. En y resongeant aujourd'hui j'ai surtout l'image de dos qui me reviennent. Tous ces dos n'ont pas aidé au rythme général de la pièce qui dès les premières minutes ne m'a pas paru approprié. Ils ont respecté le précepte de Yoshi Oïda qui consiste à produire des accélérations à partir d'un commencement plutôt lent puis d'osciller de la sorte sur toute la durée de la pièce. Malheureusement les rythmes lents demandent un surplus d'intensité sans quoi les creux sont... creux.

    Ce qui par dessus tout m'a paru insupportable c'est l'usage des musiques. Déjà au cinéma dès qu'on utilise ce procédé pour souligner l'émotion qu'on espère susciter ça ne parvient chez moi qu'à provoquer une espèce de colère sombre. Me sens infantilisé. (Et ces temps suis plutôt sensible sur la question, se retrouver à 34 ans chez sa mère est déjà une régression qui se passe de toute musique.) Bien sûr quelques fois ces musiques étaient pertinentes, aérant un texte somme toute dense. Mais ai eu l'impression que plus on avançait plus il y avait de musiques. C'était assez pénible. Sinon je n'ai pas envie de parler des acteurs. Le fait qu'ils soient dilletantes ne me le permet pas. Je dirais donc qu'ils étaient bien étant donné les difficultés de leur partition. (Et je le pense.) J'ai bien vu le travail effectué. Et il est de taille. Quand les tensions superflues souvent dues aux premières auront disparu, leurs prestations seront tout à fait respectables.

    Quelques mots sur les enjeux principaux. L'intrigue sera à découvrir sur place pour ceux qui le désirent. (Ils accueillent tout le monde. Choisissez quand même vos places sur les longueurs. Ca doit être un peu meilleur.) Donc les enjeux. C'est quand même de la belle grosse machine américaine : les valeurs morales face à la valeur monétaire dans une espèce de patriotisme exacerbé. Cette responsabilité de maître de la grande école du monde que se sont donné les américains était déjà présente à l'époque. La souffrance d'une mère par rapport à la perte d'un fils. La justice. Les responsabilités... Non je le redis c'est une belle pièce remarquablement écrite et j'espère que les critiques assez rudes qui ont précédé ne vous dissuaderont pas de vous en faire votre propre idée. De toute façon, comme je l'ai dit mon oeil est sans doute plus exigeant. D'une part à cause mon métier de comédien et d'autre part par ce passé partagé qui réduit quelque peu mon objectivité.


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  • Ca faisait aussi belle lurette (Tiens si j'ai une fille un jour je l'appellerai Lurette : On dirait bien que "lurette" ne s'emploie qu'avec le qualificatif "belle" ; on n'a jamais vu une vilaine Lurette. Cependant il est inquiétant qu'on doive lui ajouter ce qualificatif... Pourquoi serait-il nécessaire s'il était évident que Lurette était belle. On ne dit jamais la belle Claudia Schiffer. On sait que Claudia Schiffer est belle. Inutile de s'embarrasser d'une telle redondance... Alors que Lurette ne se sépare jamais de son "belle", comme si elle avait peur qu'on puisse la penser laide. Inquiétant. Peut-être même qu'elle dévie notre attention de ses traits disgracieux par le biais de ce "belle" univoque. Et on continuerait notre route apaisés et rassurés sans la moindre conscience du grossier subterfuge qui nous a abusés !! Méfiance. Je ne suis finalement  pas surpris que ce prénom soit si peu répandu. L'humain a du flair et il y a belle lurette qu'il sait toutes les sournoises surprises qu'une Lurette peut lui réserver...) que je n'étais pas allé au théâtre.

    Inadmissible mais bon les contingences professionnelles et tout ça tout ça enfin vous voyez quoi ?! Hier, enfin, n'y tenant plus, j'ai sauté mon souper pour "mange ta soupe". En voyant le titre, la culpabilité qui m'a saisie a failli me renvoyer chez moi séance tenante une serviette autour du cou. Mais j'ai résisté à cette impulsion de réifier la fiction. Depuis le temps je sais faire la différence. (enfin je crois.)

    Donc "mange ta soupe" est une création : un tableau de pièces glanées ci et là et assemblées avec plus ou moins de cohérence. Il y a des interviews réalisées dans la rue, des anecdotes des acteurs, des textes de ceux-ci (principalement Marie-Eve), la voix enregistrée d'un nutritionniste, des extraits bibliques et autres, des chants et sans doute que j'en oublie. Moi j'ai passé un bon moment. C'était distrayant et amusant. On rit souvent. La scéno est décalée et l'espace bien géré. Les quatre acteurs, en costumes seconde peau ignobles, sont très bien : Frédéric Lugon, Marie-Eve Mathey-Doret, Lucienne Olgiati et Julien Opoix.

    Si je dois émettre une réserve ce serait par rapport au rythme. Comme il s'agit de morceaux ayant parfois comme seul fil rouge celui de l'estomac, les transitions sont un peu rudes. Et comme le jeu est distancé, on est difficilement pris aux tripes. (C'est dommage quand on cause bouffe.) En résumé j'ai passé un bon moment mais je n'ai pas été saisi ; j'ai embarqué pour une croisière. Ce qui est agréable aussi. Donc cette mise en scène d'Olivier Périat vaut le voyage.

    C'est à <?xml:namespace prefix = st1 ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags" /><st1:PersonName w:st="on" ProductID="la Grange">la Grange</st1:PersonName> de Dorigny à Lausanne encore jusqu'au 25 mars. (Réservations : 021/592 21 24)


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