• Notre trio fellinien, c'est confirmé, est donc constitué d'une brave famille de polonais tombés du ciel ; ils seront mes voisins de voyage. Ils ont dû gagner au loto, c'est pas possible, et s'offrir un safari ainsi que des (oui des) téléphones portables derniers cris ainsi que plusieurs (oui plusieurs) appareils photos. Elles, les femmes léopards, ont commencé par essayer de manipuler un appareil reflex très sophistiqué pour se prendre en photo dans l'avion. Et l'inévitable est arrivé : elles m'ont demandé de les prendre en photo et donc (et surtout) de mettre en marche l'appareil. J'ai fièrement réussi à l'allumer et à atteindre le menu sans pouvoir pousser plus loin : c'était écrit en russe. Le papa a trouvé une parade imparable : il a sorti un petit appareil numérique très accessible et facile d'emploi. Et le safari photo a pu commencer à plus de dix mille mètres d'altitude dans un airbus de la compagnie Bruxelles Airlines.

    Un excellent repas nous a été servi avec un poulet au curry très convaincant. Les végétariens ont eu moins de chance que nous car pendant que nous mangions, les télés au-dessus de nos têtes nous déversaient d'interminables scènes de chasse où les léopards (sic !) n'en finissaient pas de dévorer différents types de gazelles encore vivantes (une fois le papa léopard, puis une fois le papa léopard avec sa femelle et sa fille aînée, puis une autre fois avec les enfants léopards. Mais à chaque fois une gazelle différente bien sûr...). Enfin, on est arrivés au bout du repas, heureux d'en avoir fini.

    Sur ma droite, à côté de Corinne, une des rares femmes congolaises dans l'avion encore en boubou. Ses mains dépassent d'une grosse veste en laine et ses pieds nus de la vieille couverture d'une compagnie aérienne probablement disparue. Elle compulse le "dictionnaire des personnages de la Bible", ouvrage qui lui sera très utile quand nous traverserons l'orage tropical en descendant sur Douala. Pendant les franches secousses, mes Polonaises poussent des grands cris en s'agrippant l'une à l'autre pour ne pas tomber plus bas. La maman tentera quelques prières en polonais, sans grand succès à vrai dire.
    Corinne et moi étions très bien entourés dans cet avion catholique. Nous ne risquions plus rien.

    Et c'est ainsi que nous sommes arrivés sains et saufs à Kinshasa. Je vous passe l'épisode du douanier qui s'appelait aussi Thierry et qui nous a fait poireauter très très longtemps pendant que tous les autres voyageurs étaient déjà rentrés chez eux : il n'arrivait pas à déchiffrer les passeports de trois citoyens d'un pays du golfe persique. C'était écrit en arabe ! (véridique !).

    Et nous voilà accueillis par un des membres fondateurs du Théâtre des Intrigants qui a certains passes droits car il est député de l'assemblée nationale. C'est Valentin Mitendo surnommé par ses proches et amis : "l'Honorable". Nous passons grâce à lui avec grande facilité les derniers contrôles douaniers. Nous voilà dehors, avec une flopée d'Intrigants à nous embrasser. Dont Edo, l'actuel directeur du théâtre et Bavon que nous connaissons bien pour avoir travaillé avec lui sur "Kardérah".

    Et nous plongeons dans le noir de la ville.

    Thierry Crozat

    A suivre...


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  • Aéroport de Bruxelles. A l'embarquement de l'avion pour Kinshasa via Douala, une majorité de blacks tirés à quatre épingles avec des fringues de marque et tous et toutes des têtes sorties de chez le coiffeur il y a à peine cinq minutes. Au milieu de cette faune hautement stylée, comme une erreur d'espace-temps anachronique, trois êtres fabuleux dessinés par Boucq lui-même. Le papa d'abord (j'ai d'abord cru que c'était carrément un proxénète !), la soixantaine bien tapée, chaussures d'été blanches avec chaussettes intégrées, pantalon en tergal à carreaux écossais, la ceinture tenant le bas mais aussi le ventre qui s'affaissait en toute franchise et sans pudeur, la chemise à rayures avec petit col laissant dépasser une joviale et rougeaude tête à moustache et calvitie grise bien entamée. La femme numéro un, en fait la maman (et non pas une artiste de cabaret fellinien comme je l'ai d'abord pensé), donc fraîche retraitée, cheveux brunis et courts, en leggins moulants noirs avec santiags montantes et faux léopard avec chemise du même motif léopard en jersey retenue par une ceinture large et brillante. Avec bien sûr les obligatoires accessoires bling-bling colliers, bagouses et bracelets. En option, un vernis à ongles léopard lui aussi. Et maintenant la femme numéro deux, fille (et non pas la collègue de travail comme j'ai bêtement pensé au début), la quarantaine certaine malgré la couche de maquillage avec une tenue vestimentaire totalement clonée avec la mère ; les mêmes bottes et chemisier léopards sur leggins noirs. Les seules différences ; elle avait mis une jupe jersey léopard et avait une volumineuse coiffure échappée des meilleurs feuilletons américains (les mauvaises langues seront tentées d'évoquer "Mars Attack" mais je trouve ça exagéré) avec tout le bling-bling de rigueur bien entendu.

    Nos blacks sortis plus haut des revues de mode s'avèreront être tous des camerounais. Ils descendront avec les léopards à Douala.

    Thierry Crozat

    A suivre...


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  • Mercredi 28 octobre.
    5h du matin, le réveil sonne, le zombi se lève, se rase en diagonale, se douche de haut en bas ; le voilà prêt à prendre la tangente. La voisine zombi monte également dans la voiture, destination gare d'Yverdon. Kinshasa semble bien loin, dans un autre monde. Tout cela est irréel. Dans le train la Suisse s'est levée pour se mettre gentiment au travail, mais elle n'est pas encore réveillée.

    Le ciel est dégagé, la terre vue du ciel est toujours aussi belle, la main de l'homme semble avoir disparu. Le brouillard serpente le long du Rhône ; et puis bien plus tard, la frontière franco-belge facile à repérer : il y a deux centrales nucléaires qui recrachent les seuls nuages de l'horizon. Les cheminées sont comme deux kerns des temps modernes qui nous balisent un futur proche et radieux. (Avez-vous déjà remarqué qu'on ne construit jamais les centrales en plein milieu d'un pays mais toujours près d'une frontière ? Regardez sur le Rhin ! C'est par esprit de solidarité ; si ça pète, on partage avec le voisin.)

    La Belgique apparaît enfin, comme un immense patchwork de champs dans une belle gamme de terre grise et rouille. Sur l'écran des télévisions suspendues au-dessus de nos têtes défilent des paysages belges aux couleurs de vieilles cartes postales décaties. De mornes plaines verdâtres ou grisâtres ou encore des mines à ciel ouvert ou des voitures circulant sur des boulevards dans des villes à vous faire exploser le taux de suicide par habitant. Et d'ailleurs, par une âme qui vive sur ces images. On a pensé à une initiative du ministère du tourisme, ou à une blague belge ou peut-être encore à de l'art contemporain.

    Thierry Crozat

    A suivre...


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  • Vous avez pu voir régulièrement les photos issues du périple des ArTpenteurs (Peer Gynt / Tartuffe) à Verbier. Thierry Crozat et Corinne Galland (deux des quatre membres du noyau de la compagnie) multiplient cette fois-ci les distances et le dépaysement. Ils se sont rendus en République Démocratique du Congo pour une collaboration artistique avec la compagnie des Intrigants qui désire monter Lysistrata d'Aristophane. Ils ont prévu pour le coup d'animer des ateliers autour du Choeur grec et du jeu masqué. De retour Thierry nous a fait parvenir sous forme d'épisodes un journal de leur séjour. J'ai trouvé ça si fascinant qu'avec son accord j'ai eu envie de vous le faire partager :

    Lysistra est l'histoire d'une grève du sexe déclenchée par les femmes de tout clan pour mettre fin à la guerre et forcer les hommes à signer la paix ; c'est une comédie vieille de deux millénaires éternellement d'actualité.
    Cette farce résonne terriblement en écho au conflit qui se déroule toujours dans les riches régions de l'est du pays (Kivu). Le viol systématique est devenu une arme de guerre utilisée par toutes les factions armées impliquées dans le conflit (dont l'armée régulière...).
    Nous vous proposons par ces quelques carnets de route de vous faire partager ce séjour à Kinshasa avec le théâtre des Intrigants.

    Thierry Crozat

    A suivre...


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