• Dans un décor d'extérieur, toujours à Amsterdam, ils assistent à la tractation d'un homme sans âge, une boursouflure molle au niveau du sexe, avec une femme au regard aussi absent que ses seins sont présents.
    - Il va se vider dans un râle honteux, se sentant une haine prodigieuse pour lui comme pour elle qui aura vécu déjà morte, les yeux plongés dans l'infini de son néant. Hmmm ! Splendide !
    Un profond dégoût transperce notre homme à la vue de la cruelle expression de satisfaction qui transfigure son abominable guide. Dans un mouvement exaspéré de colère il se rue sur lui mais avant même d'avoir pu l'atteindre ils se trouvent transportés dans une salle immense où des hommes discutent le prix d'un quelconque marché dans un état de douloureuse tension et de lourde animosité. Les individus sont effacés, ne subsiste que la volonté de puissance et de domination. Cet aspect qui le frappe alors contracte ses viscères. A lui qui si souvent fut dans cette même situation. Mais il n'a guère le temps de s'attarder à ce sentiment ; leur nouveau paysage ils le survolent, comme mus par un invisible moteur. Des soldats, du désert, des flammes, des cadavres éventrés, des mines décharnées, des paysages dévastés, un pétrolier déchiré, des villes, des métros bondés, des étudiants insipides, des immeubles, une chambre, un jeune homme. Il griffe fébrilement une feuille de papier, la blesse de son trait, y laisse une cicatrice intelligible.
    Ils sont là tous deux derrière son dos.
    - Il écrit notre histoire vois-tu ? Tout ce que tu fus contraint de subir est né de ses délires oniriques. Regarde-le. Vaine ambition d'un coeur qui me nourrit comme nous avons nourri son imagination. Acharnement subtil vers ce qui n'a pas de but. Artisan de son propre mal, du tien et de ma vie merveilleuse au-delà de toute autre. Touchant non ? Viens, laissons-le au charme de ses illusions, il n'est pas plus réel que nous-mêmes.

    Sur le pont il jette son mégot puis continue sa marche, enveloppé de la fumée du monde, quand souffle au loin un indolent battement d'ailes.


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  • - Tu parles comme si ce mal terrible dont tu es la représentation touchait un grand nombre de personnes. Alors pourquoi moi ?
    Cette question n'eut d'autre effet que de provoquer un puissant éclat de rire chez le monstre.
    - Mais c'est qu'il y en a qui nous tiennent particulièrement à coeur. dit-il en saisissant le menton de notre homme et en lui mimant des sortes de baisers ridicules. "Néanmoins tu as raison. continua-t-il. Le mal est partout mais taisons-nous plutôt et viens ! Avec la désespérance que tu vis tu comprendras tout sans explication. Une vraie béatitude céleste ! Une illumination divine ! conclut-il dans un esclaffement guttural."
    Et avant d'avoir le loisir de protester, voilà qu'ils se trouvent tous deux dans un des bars qui bordent les canaux d'Amsterdam. Autour d'eux s'active une foule de jeunes. Un, soutenu par le bar tente de se fabriquer une cigarette artisanale. Une bière devant ses yeux, tel un phare de détresse, attend patiemment de pouvoir remplir son office. Un groupe s'échauffe un peu plus loin et chacun mêle bruyamment ses avis à ceux des autres en les alimentant à grosses goulées de bière ou bouffées de fumée. Deux autres garçons essaient de séduire une fille aux pupilles vespérales. Le premier homme dort maintenant, affalé entre sa bière et son clope qui a roulé à l'extrémité du bar.
    La strige observait tout ceci avec un ravissement extrême avant d'éructer un brame de contentement vers les étoiles. ./.


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  • Toute cette journée fut une lutte perpétuelle pour ne pas sombrer. Une quasi nuit blanche passée à me tourner et retourner me poursuivait avec son ticket de caisse. Apparemment je n'étais pas le seul. Quand je versais en salle de méditation, je me rendais en chambre puis inversément. Et nous étions trois sur quatre à effectuer ces allers et venues. Puis je me suis carrément laissé aller quand j'ai entendu le ronflement d'un de mes compagnons de galère. Bref, je ne conserve de cette première journée qu'un sentiment de combat pour l'éveil et ô frustration, non pas pour cet éveil que j'escomptais au départ.
    Une journée à attendre le moment de pouvoir enfin me coucher. De plus, comme je pensais que ça serait un bon séjour de récupération, je ne m'étais pas vraiment reposé avant de l'entreprendre. Erreur ! Et le plus absurde c'est que lors des courtes plages de repos qui ponctuent une journée, je n'ai jamais réussi à m'endormir.
    Ces plages font suite aux repas. Et puisqu'on y est, avouons qu'ils sont pure merveille. De par leur variété et leur excellence et de par les ruptures qu'ils occasionnent. Le petit déjeuner est copieux : fruits secs, produits laitiers et céréales. Le repas de midi est composé d'un plat végétarien chaud alors que celui du soir n'est constitué que d'un fruit et d'une boisson.
    Les premiers jours je n'avais pas faim. Mon corps était trop occupé à avoir sommeil et il fallait sans doute un temps d'acclimatation à ce nouveau rythme. Par contre plus tard bruits et odeurs de repas ne laissent pas indifférent - et si je veux être honnête - à parts égales pour les deux raisons citées plus haut ; la faim et la lassitude.


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    Comment comprendre les sentiments d'une personne qui n'en a pas ?


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  • Sans doute faut-il un rapprochement métamorphique entre soi et ses vices. Doit-il exister à l'origine de leur rencontre ou alors sont-ce ces derniers qui opèrent l'alchimie nécessaire à l'apparition de la dépendance ? Quoi qu'il en soit il en existe un entre la petite boule qui sautille sur un jeu de roulette, malmenée d'obstacles en obstacles avant de trouver sa place dans le créneau du gain ou des pertes, et Alexeï Ivanovitch, le héros du roman de son alter ego.

    Alexeï est précepteur pour un général russe au bord de la faillite qui s'est retiré à Roulettenbourg, ville d'eaux imaginaire sise quelque part en Allemagne, où viennent s'échouer les fortunes désoeuvrées et tout ce qui en vit et profite. Il est épris de Pauline Alexandrovna qui lui paraît inaccessible tant leurs mondes sont éloignés et qui plus est semble éprise d'un français tape-à l'oeil aux intentions aussi intéressées que ses références sont obscures. Tout le monde attend avec impatience un télégramme salvateur qui porterait la nouvelle du décès de la tante fortunée du général. Mais au lieu de celui-ci c'est elle en personne qui apparaîtra pour un revirement inattendu d'une intrigue enlisée dès les premières lignes.

    En effet tout ne tient que par le caractère romantique d'Alexeï dont nous lisons une espèce de journal. Car en soi, et c'est en cela que c'est fascinant, rien ne se passe. Tout n'est que conjecture magnifiée par l'excessivité fiévreuse du héros baladé par ses inquiétudes comme cette petite boule à laquelle il sera bientôt enchaîné. Excessivité russe ? C'est en tout cas ce que Dostoïevski voudrait nous faire croire et qu'il défend fièrement l'opposant à tout bout de champ aux mentalités française et allemande qu'il fustige. Seule l'anglaise trouve un semblant de grâce à ses yeux.

    Et ce qui est fou dans ce roman en plus des résonances autobiographiques, tant sur le plan de la dépendance que sur celui de Pauline Alexandrovna, c'est encore cette situation dans laquelle se trouvait Dostoïevski au moment de la rédaction du Joueur. Forcément retrouvé dans la position du joueur ; impatient, suant, mais avec ce picotement d'adrénaline et cette furieuse sensation d'être vivant, maître du monde ; devant l'ultimatum que lui avait fixé son éditeur qui se rendait propriétaire de tous ses droits s'il ne livrait pas un roman aux pages définies dans un délai que Fédor avait laissé devenir inatteignable sans l'aide de la sténo qui devint sa femme. Ainsi sur ce coup-là Dostoïevski avait gagné sur tous les plans : il a fini son roman à temps, roman en plus excellent, il a rencontré sa future épouse, épouse qui lui amènera la stabilité nécessaire à l'abandon définitif du jeu. Et ironie du sort, son gain le plus fameux ne doit rien au hasard.

     


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