• M'étais rendu à Genève lundi pour voir la dernière pièce de Dominique Ziegler au Poche et mon pas allègre se vit soudainement interrompu par une vision d'horreur si surprenante que j'ai cru devoir en décrypter une quelconque facétie. Mais non c'était bel et bien du premier degré. Sans doute de la part de quidams incapables d'en exprimer de plus élaborés mais quand même. J'étais si interloqué que je ne savais s'il fallait rire, me rouler parterre en hululant et bavant pour m'ajuster à ce degré de finesse ou à me faire pincer pour me ramener sur cette terre dont j'oublie parfois les contradictions.

    Mais après tout, il n'y avait là rien de bien original. Juste quelque chose de très triste. Une nouvelle variation d'un même thème qu'on trimballe au fil d'infatigables recyclages depuis bien des siècles et qui s'est matérialisée de façon douloureusement démonstrative en 39/45. Seul l'objet de la diabolisation varie au gré des intérêts des rétentionnistes de tout bord. Ce qui m'amuse et m'effraie c'est que ces derniers osent s'afficher sans honte et sans rétro-conscience. Que voulez-vous on n'arrête pas la régression. Mais laissons ces pauvres personnes fermenter dans leurs latrines cérébrales. Ce qui m'intéresse maintenant c'est de voir où se situe la conscience populaire car avant de m'acheter mes bottes hivernales il est bon de savoir à quel niveau se monte la matière fécale globale.

    Et j'espère pouvoir éviter une combinaison de plongée.


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  • La nuit fut épaisse et sans rêve.
    L'espace intime s'était ramassé. Auparavant ses frontières n'avaient pas de limite et pouvaient s'étaler jusqu'aux retranchements obscurs, jusqu'à ces lieux humides et sombres où les vies qui s'y trouvent se suffisent à elles-mêmes et peuvent se développer - et parfois de manière grotesque - dans le confinement discret mais prégnant de leur micro-climat.

    Quatre autres personnes partageaient mon dortoir. Elles m'ont reçu avec toute l'hospitalité des honnêtes gens, m'offrant le partage de leur pitance. La soirée fut agréable avec ces tâtonnements polis de ceux qui ne se connaissent pas et qui ne peuvent se fuir. Ça m'a distrait de mes préoccupations habituelles. Oedipe dut interrompre son remue-ménage intime.

    Après un petit déjeuner et les évaluations méréorologiques partagés, ils optent pour une promenade dans les bas. Ils voulaient tenter le Trubelstock mais il est vrai que le temps n'est pas engageant.
    Moi j'ai toujours ce projet du Mt-Bonvin. Je sais que la neige s'obstine dans toutes les rides de sa face... En y ajoutant le temps et la longue course de la veille, je me résous à remettre cette escapade à des conjonctions plus favorables.
    En outre mes invités improvisés m'ont annoncé la venue d'un groupe de huit personnes pour la nuit prochaine.

    Une fois seul, j'hésite grandement à rester. Travailler me sera impossible. Rester pour rester me paraît absurde. En plus je déteste les derniers jours. On n'a jamais envie de commencer quelque chose puisqu'on estime que ça n'en vaut pas la peine ; on est déjà ailleurs tout en étant encore là. Si je m'en vais aujourd'hui, si je prends mon dernier jour par surprise je le déjoue.
    Mon sac est vite prêt. Un coup de balai, et voilà.


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  • Tout ce bois mort pour rien.
    La chaleur se vit dans les tripes.
    J'ai l'abdomen fugace
    et la langue de bois vert.
    Déflagration !
    Chapeau de travers.
    La vie se mord la queue.
    La vie...
    J'éternue.
    Un souffle attise le brasier.
    C'est toute ma vie qui part en fumée.
    La sonnerie du téléphone
    retentit dans mon encéphale.
    Je décroche celui-ci.
    Cette voix à l'intérieur de mon crâne
    qui me dit : change de vie change
    de mort. Ou tue-toi !
    Les arbres sont vivants.
    Mutation ! mutation !
    Qui me reconnaîtra ? qui ?
    Les vers de terre sont vivants.
    J'ai posé ma tête sur un guéridon.
    Je la tourne dans tous les sens.
    La lance en l'air.
    La rattrape d'une main.
    Puis l'autre.
    Qui m'aimera encore ? qui ?
    Je prends mon crâne à pleines mains
    le secoue jusqu'à ce que les yeux en tombent.
    Billes de verre.
    Billes de feu.
    Je suis aveugle.
    La matière plastique est-elle vivante ?
    Qui me comprendra encore ? qui ?
    Je remets ma tête à sa place.
    Elle s'ajuste mal.
    Tant pis !
    J'allume un grand feu
    au milieu d'un couloir interne.
    Une taupe survient.
    La chaleur se vit sous la terre.
    Je lui montre ma tête mal emboîtée.
    Elle ne se soucie guère de ce qui apparaît en surface.
    Sa conscience est ailleurs.
    Ailleurs...
    Elle fume une pipe d'écume rouge.
    Me regarde fixement.
    Je remarque qu'elle n'a pas de tête.
    Deux petits trous de chaque côté du nombril.
    Un autre trou dans la glotte
    à l'intérieur duquel elle enfonce sa pipe.
    Petite intrusion dans le monde des vivants...
    Feu de bois.
    Feu de tripes.
    Feu !
    Qui me surprendra encore ? qui ?
    Des bulles d'air chaud courent le long de mon oesophage.
    La vie est un bain de mémoire perpétuel.
    Au secours ! au secours !
    C'est ma raison qui flambe !
    Mon passé tombe en ruine.
    Je réintègre mon centre rouge.
    Je suis vivant.

    Vital Bender


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  •  

    Dans le cadre de la saison du petit théâtre, la compagnie a planté son nouveau chapiteau sur l'Esplanade de Montbenon, à Lausanne et s'offre un Tartuffe ébouriffant. Une fin de tournée tambour battant.

    "Faire du théâtre populaire, coloré, goûteux, engagé" : la profession de foi de la compagnie vaudoise Les ArTpenteurs, fondée en 1999 par Chantal Bianchi et Thierry Crozat, n'est pas une imposture. Preuve en est son nouveau spectacle qui, depuis mai dernier, poursuit une vaste tournée. On se régale à découvrir les (més)aventures de ce Tartuffe imaginé par Molière. Du rythme, du plaisir de jouer, une scénographie astucieuse, le tout sous un joli chapiteau, pas trop grand, laissant voir les comédiens de près tout en gardant la juste distance entre les spectateurs et l'espace scénique.

    A Lausanne, sur l'Esplanade de Montbenon, jusqu'au 20 septembre, la compagnie ouvre en fait la saison du petit théâtre, ici coproducteur. Une fois n'est pas coutume, le spectacle dépasse allégrement l'heure de jeu. Presque le double en vérité : inutile d'amener les tout petit. L'âge recommandé est dès 12 ans, mais on voit bien, pendant la représentation, que les parents et grands-parents s'amusent au moins autant que les enfants ! Toute la troupe est au diapason. En tête de liste, Thierry Crozat en Tartuffe machiavélique, faux dévot ayant la fâcheuse tendance de prendre les autres pour des veaux...

    Tel est pris qui croyait prendre, cependant. Il pensait manipuler le brave Orgon, chef de famille crédule, comme aveuglé dans un premier temps par la pieuse moralité de son nouvel ami et prêt à se dépouiller en sa faveur de tous ses biens. Cette même famille, sa femme en tête, trouvera finalement le moyen de confondre le vil personnage, qu'on croyait chaste, mais bien vite émoustillé par les plaisirs de la chair.

    La charge de Molière sur les fausses croyances et l'appât du gain tient évidemment le coup. La nature humaine n'a guère évolué ces derniers siècles. Il est toujours des mascarades en cascades. Jouer un rôle, jouer son rôle : il en va au théâtre comme dans la vie. Une grande farce donc, que les ArTpenteurs distillent avec malice et moultes perruques, utilisant à merveille le dispositif scénique bi-frontal (et un grand podium au centre, avec trappes et table intégrée). Du théâtre expressionniste teinté de rap : Obaké, de son vrai nom Léo Regazzoni, reprend à son compte et à sa manière les lettres que Molière écrivait au roi d'alors. Des intermèdes musicaux, en quelque sorte, comme Lully en composait pour l'auteur.

    Michel Caspary

     


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  • Encore une nuit sans fermer l'oeil.
    Des mégots partout jusque dans mon lit
    jusque dans mon ventre.
    Les clopes je ne les fume plus je les avale vivantes comme ces petits vers qui grouillent à l'intérieur de ma pensée.
    Il fait déjà jour.
    Je lâche un gros pet mystique.
    J'aime cette vie.
    Cette vie souterraine.
    Cette vie transitoire.
    Un mouchoir traîne : j'y fais un noeud
    pour ne pas oublier de revenir à cette vie si je m'endors.
    C'est drôle tous ces mouchoirs pleins de noeuds...
    Tous ces noeuds aux fenêtres.
    Toutes ces fenêtres qui clignotent tandis que je cherche en vain le sommeil.
    J'aime cet instant de la vie qui s'arrête
    cet instant hors du temps poisseux et de la raison.
    Je me lève pour aller pisser.
    Le jour point jusque dans ma culotte.
    La chasse d'eau siffle un air de jazz.
    Si ma mère était vivante elle me dirait : pourquoi ne dors-tu pas ?
    Elle m'imagine encore à l'intérieur de sa bulle.
    Ce n'est pas ainsi que je suis venu au monde.
    Je suis tombé du ciel au fond d'une cuvette de W-C.
    Au fait pourquoi est-ce que je ne dors pas ?
    Ai-je trop espéré de la vie ? Trop ?
    Trop bandé pour elle ?
    Il faut que je jouisse !
    Dormir ! il faut que je dorme !
    Si ma mère était vivante
    elle me prendrait dans ses bras
    et me bercerait.

    Vital Bender


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