• L'implacable équation des générations perdues

    De la porte entrebâillée, une lame de lumière tranche la pénombre de la scène. Comme une blessure dans la nuit, à l'image des coeurs : ceux d'une mère et de son fils, bousillés par un fait divers en forme de destin. Derrière cette porte, on entend le corps d'un père suicidaire se dessiner à travers les sanglots des survivants. Survivre à l'arithmétique du temps, à la soustraction de la perte. Division familiale esquisse sans concession les liens du sang disloqués par la mort, la culpabilité, la rouille qui gangrène les ports d'attache fraternels ou filiaux.

    Un texte hypnotique, entre douleur et ironie, dont les vers libres, écrits sans ponctuation, jouent avec la répétition des mots. Comme un écho aux ruminations obsessionnelles des personnages, à leurs pensées-tourbillon qui donnent le vertige, turbulences qui s'entrechoquent, échauffent les esprits et carbonisent les relations. "Pardon", répètent-ils sans cesse, comme une formule incantatoire qui se serait vidée de son sens, et dont l'essence première ne cesse de s'évaporer davantage à force d'être évoquée. Car à travers la mort du père, c'est tout une mécanique de communication qui se grippe ; qui saura prendre la tête de la meute ? Cette mère effondrée sur elle-même, dont le masque de regrets se fige au fil des éternelles habitudes, ou ce fils cadet toxicomane, suffisamment affaibli et effaré pour distribuer des "Je t'aime" que personne ne saura entendre ? Sûrement pas. Reste le fils aîné, miroir inversé du cadet, qui se plaît dans les ivresses de l'ascension sociale plutôt que dans celles d'un shoot d'héroïne.

    Dans ce décor noir et blanc de nuit et de pénombre, la mort agit comme un révélateur ; au sol, un cadre de néon définit les limites de ce cliché bouleversé. Dans cette intimité froide et désolée, le quotidien s'affiche dans son plus simple appareil, une table, quatre chaises pour meubler le dîner des retrouvailles. Derrière le manque d'appétit, le malaise sourd avec une justesse cinglante. "Ca pue l'étable", lâche la soeur, seul membre du clan qui saura peut-être s'émanciper de sa destinée gluante, au prix d'une douloureuse distanciation.

    Le dédain, unique échappatoire face à l'emprise dysfonctionnelle des siens ? La noirceur du trait, son incapacité (ou est-ce une volonté ?) à ciseler la moindre lueur d'espoir, verse parfois sur la pente de l'ennui. Mais les acteurs, tous à fleur de verbe, irisent suffisamment le texte pour soutenir ses basculements vers l'absurde, le surréaliste, la folie. Après tout, la mère et le fils aîné finiront en chemise d'hôpital sous les néons cliniques d'un asile psychiatrique. Et resteront jusqu'au bout des personnages sans nom, individualités à jamais prisonnnières de l'amère toile familiale.

    Jonas Pulver


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  • La folie pour survie

    Un plateau obscur fendu d'une entaille lumineuse. Dans ce rai de lumière, un corps brisé qui sanglote, suffoque. La première image de Division familiale dit beaucoup de ce qui va se jouer dans le clan dévasté. Derrière la porte libérant cette diagonale infernale, un père s'est suicidé. Et la blessure ne cessera de saigner, déversant son torrent de dérèglements. Toxicomanie, schizophrénie, logorrhée psychotique, Julien Mages dresse la liste des troubles provoqués par un tel événement. Avec un style où l'embouteillage du langage et les répétitions saccadées racontent le définitif sentiment d'étrangeté pour les proches blessés. Accablant ? Non car, face au jeune auteur et metteur en scène romand, les comédiens, jeunes eux aussi, restent autonomes, vivants.

    "Petit papa, petit con (...) je peux revenir plus tard tu nous tues je reviendrai plus tard elle est où ta tombe." Comme le cadet (René-Claude Emery), le fils aîné (Frank Arnaudon) n'a pas supporté l'acte fatal. Lui qui avait répondu par le travail à la névrose familiale termine interné après une crise obsessionnelle qui a la tombe pour objet.

    Tout le théâtre naissant de Julien Mages réside dans l'idée de lésion. De division intérieure qui a donné son nom aux trois pièces écrites depuis 2006. L'auteur, 31 ans, est diplômé de la Haute Ecole de théâtre de Suisse romande, mais a laissé le jeu de côté pour l'exploration des névroses familiales. Avec succès. Les Perdus, sa prochaine pièce, lancera, en septembre, la saison du Théâtre de Vidy. Le sujet ? La vie d'un groupe de squatters. On ne sera plus dans les abîmes familiaux, mais les secousses de l'âme et du corps restent au coeur du propos.

    Secousses, oui. Car, de la mère (Irma Ryser-Zogaï) aux fils en passant par l'interné (Frank Michaux), chaque personnage de Division familiale tremble, vacille sous le poids de son trauma. Seule la fille (Marika Dreistadt) tient bon. Un ballet parfois convenu autour de la folie, mais prenant dans ses enjeux de survie.

    Marie-Pierre Genecand


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  • On n'ira pas par quatre chemins : Division familiale est un des plus beaux chocs théâtraux de ces dernières années. Sur scène, le minimum. Une table, quelques chaises, un grand carré dessiné au sol par des néons. Espace ritualisé, ring ouvert où se déchirent les membres d'une famille endeuillée. Le père est mort. Suicide, apprendra-t-on. "Il faut parler, parler", scande la mère bientôt gagnée par la folie. "Il faut sortir tout ça." Dans un tourbillon déchaîné, la pièce fait valser ses éclats de noirceur : une souris écrasée, un shoot dans une veine, des oiseaux qui s'arrêtent de chanter... Bientôt la parole se déglingue à son tour. Elle devient rire ou hurlement, comme une oraison déchiquetée, où ne submergent que des bribes de phrases, paroles répétitives, dans un jeu de superpositions vertigineux. Division familiale sait aussi se faire tendre et pudique, comme un moment de silence hésitant. A la limite de la transgression, sublimée par une poésie très efficace, cette pièce doit aussi sa force à ses cinq comédiens qui se révèlent aussi troublants que percutants.

    Anne-Sylvie Sprenger


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  • Non, je vous rassure. La mienne va très bien. Surtout l'autre en fait si j'y pense. Parce que sinon pas toujours forcément. Enfin c'est à voir. Le tout c'est d'y réfléchir. Mais bien. Et ça c'est pas toujours simple. Parce que souvent y a un côté mais des fois aussi y en a un autre. Et le bon allez savoir pourquoi des fois est au milieu. Et là là...

    Enfin comme je dis, c'est à voir parce que dans le fond je me rends compte que c'est compliqué.

    D'ailleurs je préfère laisser la parole à l'autre, Julien Mages, qui donne à entendre son texte à lui par Irma Riser-Zogai, Marika Dreistadt, Frank Arnaudon, Frank Michaux et votre serviteur ;

    A l'arsenic Lausanne Les mardi 7 et mercredi 8 avril puis du mardi 14 au dimanche 19 avril
    MA/JE : 19h, ME/VE/SA : 20h30 et DI 18h

    Pour davantage de précisions que mon esprit lacunaire n'autorise faites un tour sur le site de l'arsenic

    Et si vous avez l'amour du risque venez directement. A vos risques et périls bien évidemment.

    Moi en tout cas je serai là. Sauf si peut-être qu'en fait la mienne va pas si bien. En fait.

    ps: Sinon y aura encore

    Le Pommier - Neuchâtel les 22 et 23 avril
    Benno Besson - Yverdon du 28 au 30 avril
    Petit-Théâtre - Sion les 8 et 9 mai
    Espace Guinguette - Vevey les 20 et 21 mai


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